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et à l’aide d’un bâton, le petit fossé qui séparait l’île du continent[1]. Il y a là, sans doute un peu d’exagération, et nous sommes assez près de la Gascogne ; toutefois il est plus que probable que le défilé était à cette époque beaucoup plus étroit qu’aujourd’hui.

Ce qui est non moins certain, c’est qu’une grande partie de la péninsule d’Arvert, que nous voyons complètement émergée, était alors envahie par les eaux de la mer. Arvert était aussi une véritable île. On allait en bateau « on Arvert » comme « en Oléron. » On peut d’ailleurs constater à première vue que toute la péninsule comprise entre la Seudre et la Gironde est semée d’alluvions et de coquilles marines. Les marais de Mathes, de Saint-Augustin, de Mornac, de Saint-Georges-de-Didonne, de Merchers, étaient jadis de petits fiords marins dans lesquels les bateaux circulaient avec la plus grande facilité. En certains endroits, dans les bas-fonds aujourd’hui émergés, on a retrouvé des ancres et des débris de navires d’un assez fort tonnage. Au commencement du XVIIe siècle, on construisait encore à la tour de Broue, alors dans l’estuaire de la Seudre, des bateaux de 40 tonneaux ; et en 1717, en creusant au pied de cette tour, on déterrait la quille d’un navire de 50 tonneaux. La tour de Broue est aujourd’hui à 12 kilomètres du rivage.

Même situation et mêmes transformations au Nord de la Seudre, dans le district de Marennes, qui était bien alors « l’isle de Marennes. » Le pays s’est appelé longtemps le « Colloque des Iles ; » et en fait, c’était un grand archipel vaseux, entouré de lagunes indécises, coupé par une multitude de petits canaux sinueux, navigables, — qu’on appelait, qu’on appelle encore des « étiers, » — et le long desquels était échelonnée une série de petits ports où pouvaient accoster, il y a trois siècles à peine, des navires de plus de 200 tonneaux.

La Seudre présentait l’aspect d’un énorme tronc d’arbre dont les canaux latéraux auraient été les grandes branches, se ramifiant à droite et à gauche de la manière la plus capricieuse : on n’en comptait pas moins d’une quarantaine. Le nombre en est aujourd’hui réduit de plus de moitié ; et ce n’est que par des travaux spéciaux d’aménagement, par l’établissement d’un nombre considérable de vannes, de pertuis, de barrages de retenue, d’écluses

  1. E. Reclus, le Littoral de la France. La Péninsule d’Arvert et le Pertius de Maumusson. Paris, 1862.