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Ces définitions résultent souvent d’une longue élaboration, comme les méthodes, et voici d’ailleurs l’opinion d’hommes compétens à leur sujet : M. Boutroux dit[1] : « En mathématiques, les définitions fondamentales ne sont pas de simples propositions. En une définition mathématique sont souvent condensées une infinité de définitions… lien est de même pour les démonstrations. Les mathématiques exigent, en maint endroit, un mode de raisonnement, qui est autre que la déduction logique… c’est le raisonnement par récurrence… sorte d’induction apodictique. »

M. H. Poincaré dit aussi[2] : «… C’est donc bien là le raisonnement mathématique par excellence… Le raisonnement par récurrence contient, condensés pour ainsi dire, dans une formule unique, une infinité de syllogismes (hypothétiques) disposés en cascade…

«… Dans le domaine de l’arithmétique on peut se croire bien loin de l’analyse infinitésimale, et cependant l’idée de l’infini mathématique joue déjà un rôle prépondérant, et sans elle il n’y aurait pas de science parce qu’il n’y aurait rien de général. »

Dans l’analyse, il nous semble que le raisonnement fondamental est celui-ci : lorsqu’on a constaté que la différence entre A et B est un infiniment petit, on peut affirmer l’égalité rigoureuse : A = B.

Ce principe et le principe de récurrence, avec ceux de la logique ordinaire (le principe de contradiction en particulier, appelé ici principe de réduction à l’ « absurde »), sont entre les mains des géomètres de puissans moyens de création. Donnons deux exemples : La méthode infinitésimale permet, dans l’évaluation de la longueur d’une courbe, de substituer à la courbe une ligne polygonale inscrite. A un arc on substitue une corde, et cela est fait de telle manière que l’on n’obtient nullement une valeur approchée, mais une valeur rigoureusement exacte de la longueur cherchée. Refusera-t-on que cette méthode soit puissante, alors qu’elle permet de simplifier le problème par une erreur apparente, erreur annulée par l’application complète de la méthode ? Considérons aussi la théorie des groupes qui domine la mathématique presque tout entière : on dit qu’ « un système d’opérations forme un groupe si deux opérations de ce système successivement effectuées équivalent à une autre opération du

  1. De l’Idée de Loi naturelle dans la Science et la Philosophie. Alcan, 1895.
  2. Revue de Métaphysique. Hachette et Colin, 1894.