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chorégraphie me parut inharmonieuse et malingre ; mais, indulgens aux mesures manquées qui en brouillaient les figures, les Japonais leur prodiguaient un applaudissement, dont ils s’étaient montrés presque avares envers les orateurs.


Nos kurumas nous menèrent à fond de train au plus bel hôtel de la ville que M. Kumé avait choisi pour y recevoir ses visiteurs.

Les hôtels japonais m’ont toujours enchanté : j’en aime la salle d’entrée, moitié cuisine et moitié vestibule, où l’on quitte ses chaussures devant des rangées de getas, tandis que le patron, la tête courbée et les mains écartées, s’avance en souriant et que les servantes prosternées vous saluent d’une voix claire. J’en aime les escaliers incommodes et luisans, le jardin et ses lanternes, gros champignons de pierre épanouis au milieu des arbres nains et des rocailles, et les galeries qui le contournent, et leur plancher qui crie, et ses pavillons reliés par des arches de bois, et de partout, en réponse aux claquemens de mains qui les appellent, le  ! des servantes, ce hé prolongé en plaintif haï ! et pareil à un bêlement de chèvre.

On nous conduisit, après bien des détours, dans une chambre isolée au haut d’un raide escalier. La pièce assez vaste et lumineuse affichait un luxe moderne qui seyait bien au salon d’un député. Deux fauteuils balançoires de fabrication américaine oscillaient le long du mur ; un tapis de feutre à fleurs rouges recouvrait les tatamis ; parmi les braseros, sur un tabouret de laque dorée des cigares de la Havane enroulés de papier d’argent scintillaient dans leur boîte. Mais un grand paravent, où les tortues et les cigognes voyagent de conserve, nous transmettait les heureux présages du vieux Japon, et, au fond, près du toko, — ce pilier fait d’un tronc noueux et veiné, colonne de la maison qui en représente le foyer, et qui me rappelle toujours l’olivier robuste autour duquel le divin Odysseus bâtit sa chambre nuptiale, — sur les blondes nattes de l’alcôve, élevée de quelques pouces au-dessus du plancher, trois petits arbres centenaires tordaient leurs rameaux avec un raffinement sauvage, et l’un d’eux, ô merveille ! un prunier, se couronnait de fleurs minuscules. C’était vraiment une pièce bien meublée.

Nous nous rangeâmes devant cette alcôve, à genoux ou les jambes croisées, sur des coussins de soie, et la place de M. Kumé était marquée de coussins plus fournis et plus éclatans. Les