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détient le pouvoir, fils d’un samuraï qui combattit contre les troupes de l’Empereur, du temps que les impériaux criaient : Mort aux étrangers ! M. Kumé ne s’est point embarrassé de vagues idéologies, et n’a trié dans le déballage des théories occidentales que deux ou trois principes américains d’un usage commode et d’un entretien facile.

Je crois que, de toutes les influences étrangères, celle de l’Amérique agit le plus profondément sur l’esprit japonais. La France, l’Allemagne, l’Angleterre même, ne marquent pas d’une empreinte spéciale les étudians que le Japon leur envoie. Notre civilisation est trop complexe, notre atmosphère trop chargée d’idées contradictoires, pour qu’ils puissent retirer de notre commerce une direction nette et forte. La vieille Europe les étonne, les étourdit, les bouleverse, les déforme, les gâte ou, ce qui est encore plus fréquent, ses antithèses se neutralisent et glissent sur eux sans les entamer. Les Etats-Unis n’ont point à concilier les revendications d’un long passé, avec les nécessités de l’heure présente et les menaces de l’avenir. Les morts n’y parlent pas comme chez nous ; et, si les peuples assemblés y forment un extraordinaire delta de flots humains, tous ces flots roulent d’un cours unanime au même océan. On n’en voit point s’attarder et s’endormir le long des rives, ni d’autres refluer vers leur source. De San-Francisco à New-York, tout affirme et proclame la confiance de l’individu en son individu et le pouvoir de l’association libre fondée sur l’or. Je ne dis pas que l’Amérique ne ressente pas aussi ses mystérieux orages et ses déchiremens d’âme ; mais les multiples races qui s’y confondent ont dû adopter des mots d’ordre très simples, très clairs, d’une portée universelle. Ce sont eux que nous entendons et qui dominent le mélange des voix discordantes. Ils tombent de haut et s’enfoncent du premier coup dans l’esprit du petit Japonais, et, comme cette société individualiste, brutale, égalitaire, industrielle, sans tradition, sans aristocratie, sans hiérarchie, est exactement l’opposé de l’ancienne société japonaise, il la comprend par la violence même du contraste, tandis que la nôtre, moins différente de la sienne, travaillée du doute et de l’angoisse, sillonnée de courans contraires, hantée de la beauté douloureuse des révolutions, l’inquiète, le déroute ou lui reste inintelligible. On reconnaîtra toujours un Japonais qui a vécu, ne fût-ce que six mois, aux Etats-Unis. Quand l’idéal sommaire, que leur exemple propose à notre activité, révolterait