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fabriquer des lois : c’est un métier commode et qui n’exige que de la persévérance dans la présomption. Désappointé, mal payé de ses efforts, supérieur à beaucoup de Japonais par une instruction mi-européenne, qui lui rend plus sensibles leur ignorance et leur entêtement, et impuissant à établir sa supériorité, faible comme toutes les âmes dont l’harmonie est rompue, il cherche et trouve dans la politique des occasions de jouer avec des idées vagues et de sonores néologismes, des alimens pour ses espérances et des satisfactions pour ce goût des petites intrigues adroitement enchevêtrées dont les peuples jaunes se sont fait une sorte d’esthétique. Son esprit est plus hardi que son caractère et plus imprudent que hardi. Il juge et tranche ; mais le vieux respect hiérarchique l’intimide encore, et, si sa parole s’en affranchit, son geste en garde la courbure. Il s’indigne parfois du succès et ne se tient point de le saluer.

On m’a parlé d’un géographe qui, cantonné dans la géographie militaire, pouvait à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit énumérer les diverses garnisons où chaque régiment de France avait résidé et résidait encore. Cet homme merveilleux ne l’était pas plus que Mikata qui savait, à un sen près, ce que coûtait chaque élection et qui suivait heure par heure les évolutions des camarillas sur la carte du Parlement. Il étudiait leurs manœuvres, devinait leurs stratagèmes, prêtait l’oreille à leurs mines souterraines. Les ruses bien filées, les complots bien ourdis nattaient son toucher d’expert. C’était un amateur passionné qui, dans l’ombre où il marquait les coups, attendait l’occasion problématique d’en porter lui-même. Et les idées, qu’il avait achetées sur le marché de France, erraient, prisonnières dépaysées, au milieu des japoneries de son cerveau, cassant les unes, écornant les autres, aussi incapables d’en sortir que de s’y asseoir paisiblement.


III

Or, au commencement de février, l’honnête Mikata me demanda un congé d’une semaine, afin d’accompagner un de ses amis, candidat à la députation, dans sa tournée en province. « Une campagne électorale au Japon, fis-je, comme je voudrais en être ! » Il ne répondit rien, mais, le lendemain, il m’apportait une invitation de son ami, et, quinze jours plus tard, par un clair matin