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de nos petits hommes. C’était le vieil esprit féodal qui soufflait dans les clairons ; c’était lui qui suscitait les candidats, équipait les bataillons hétérogènes, enrégimentait des mercenaires, soudoyait des assassins. Seule, la personne des chefs occupait la scène : leurs partisans ne s’inquiétaient pas plus des idées de ces capitaines que jadis les vassaux et les reîtres des raisons qui poussaient le seigneur à leur sonner le boute-selle. On n’avait pas besoin d’être initié à la cabale constitutionnelle pour se meurtrir et tuer des sergens de ville. Tout récemment, un fameux politicien du Japon, ancien et futur ministre, un de ceux qui firent la Restauration, me disait avec un mélange d’ironie et de gravité vraiment savoureux : « Nous étions plus mûrs pour le régime représentatif que nous ne le pensions nous-mêmes. » Et il ajoutait : « Notre parlementarisme encore oligarchique n’est que la transposition intellectuelle de notre vieille et brutale féodalité. »

Heureusement la fréquence des élections ralentit l’enthousiasme belliqueux des électeurs. Le Japonais a l’âme capricieuse et mobile : pour traditionaliste qu’elle soit, elle s’éprend vite des nouveautés et plus vite encore s’en déprend. Il en fut des sports de la politique comme de l’élevage des lapins qui, en 1873, passionna le public au point que ces animaux atteignirent les prix fabuleux des anciennes tulipes hollandaises. On se lassa des échauffourées électorales, comme, en 1875, ce même public se fatigua des combats de coqs dont, l’année précédente, le fol engouement l’avait dégoûté de ses clapiers. Les paysans revinrent à leurs rizières, et plus d’un samuraï, qui avait espéré peut-être que son député ramènerait au Japon l’âge divin du fer et des sabres, déçu, mal content de ses horions sans gloire, se retira dans sa bicoque. L’agitation fut ainsi limitée, et, par un contraste bizarre, à mesure que les journaux devenaient plus âpres, les députés plus turbulens, les idées même plus dégagées et plus audacieuses, le peuple sembla redoubler d’indifférence et les électeurs, moins emportés, commencèrent de s’abstenir.

Le renouvellement de la Chambre s’accomplirait aujourd’hui dans un calme profond, si les soshis n’entretenaient soigneusement la petite flamme des libertés ardentes. On pourrait se passer d’eux, mais on les garde pour le principe, par respect de la tradition et aussi, j’imagine, en raison de leurs états de service. Leur dialectique véhémente et décisive a replongé au nirvana