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Je ne sais pas si l’Empereur faisait partager sa confiance à tous ses agens, mais, en tout cas, il leur donnait l’ordre de l’affecter car, le roi Louis-Philippe ayant dit devant le général Pozzo : « Si les Prussiens entrent en Belgique, ce sera la guerre, nous ne le souffrirons pas ; » le général, mieux instruit cette fois que trois mois auparavant, répondit sans hésiter : « En ce cas, vous y trouveriez toute l’Europe[1]. »

Toute l’Europe, c’était bientôt dit, mais il manquait toujours (Pozzo lui-même le savait sans doute) à cette totalité une unité importante, dont le concours n’était rien moins qu’assuré : c’était l’Angleterre, dont l’embarras croissait tous les jours à mesure que, sous la pression des circonstances, l’opinion, d’abord unanime, devenait agitée et confuse. S’il était impossible au cabinet britannique de s’associer à la croisade entreprise contre le principe de non-intervention, dont l’exécution première lui appartenait, l’idée d’une armée française entrant en Belgique, avec le dessein peut-être de mettre à exécution les projets déjà répandus d’annexion et de conquête, réveillait les souvenirs pénibles d’anciennes rivalités, surtout chez les amis les plus chauds et les soutiens les plus fermes du ministère Wellington. Ayant ainsi à répondre à des sentimens contraires, le ministre des Affaires étrangères, lord Aberdeen, eut une inspiration qui avait le mérite de le tirer de peine en ajournant la difficulté au lieu de la résoudre. Son idée très simple fut celle-ci :

Parmi tous ceux qui se montraient les plus pressés de restaurer l’autorité du roi des Pays-Bas, aucun n’allait jusqu’à croire possible de la rétablir dans les conditions où elle venait de périr. On convenait très généralement que l’unité étroite et intense des deux parties du royaume, le fameux amalgame de 1814, était condamné par l’expérience, comme incompatible avec l’antipathie réciproque des populations qu’on avait vainement essayé de fondre. C’était, d’un commun aveu, la prétention de rendre le lien trop serré qui en amenait la rupture. La pensée d’une séparation administrative, peut-être parlementaire et politique, entre Bruxelles et La Haye, pouvant même au besoin aller jusqu’à établir deux États distincts sous la souveraineté personnelle du

  1. Hillebrand, t. I, p. 145 ; — Capefigue, t. III, p. 198 et 199. Cet écrivain, qui mérite peu de confiance dans le récit des affaires intérieures, a eu évidemment sur les affaires diplomatiques des communications des ambassadeurs et du comte Molé.