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diplomatiques n’étant pas encore, malgré la reconnaissance déjà promise, régulièrement établies. Le récit de la conversation qui s’engagea entre eux diffère sensiblement suivant qu’on l’emprunte aux souvenirs des écrivains contemporains allemands ou français. Suivant un narrateur français qui a eu toute facilité d’être bien informé, M. Molé prit tout de suite le ton très haut, et annonça, sous une forme même comminatoire, la certitude d’un conflit armé avec la France, si un bataillon prussien se présentait à la frontière belge. Un historien qui a pu consulter les dépêches prussiennes affirme, au contraire, que tout se passa de part et d’autre d’une façon courtoise et même amicale, le ministre français s’en remettant au bon esprit dont le gouvernement prussien avait fait jusque-là preuve pour apprécier la situation critique où les deux pays seraient placés par l’apparition d’une troupe étrangère à portée de vue de nos frontières, le danger des rencontres possibles, et pour ne pas chercher à aggraver ainsi les difficultés que le gouvernement naissant éprouvait à se maintenir dans des voies pacifiques[1].

Je suis porté à penser qu’il y eut ici, comme il arrive souvent, dans le compte rendu des conversations auxquelles aucun témoin n’assiste, une part de vérité et quelque exagération des deux parts. Après le bon accueil fait à la royauté nouvelle à Berlin, qui n’avait encore été démenti par aucune démonstration de nature à donner ombrage, rien n’eût été plus déplacé que de prendre tout de suite une allure menaçante, et tous ceux qui ont connu le comte Molé, ce parfait homme du monde, modèle de tact et de bon goût, ne lui prêteront pas cet empressement à recourir à une bravade sans motif. Mais il est certain aussi qu’il ne se borna pas à plaider la cause de la paix en termes généraux, dont il aurait laissé l’application au bon jugement du gouvernement prussien. Il donna, au contraire, à la conduite que la France allait tenir, le caractère d’une adhésion explicite à la règle inaugurée par l’Angleterre et qui considérait, je l’ai dit, comme interdite et sans droit toute ingérence d’un État dans les démêlés intérieurs d’un voisin indépendant. Cette règle, le gouvernement français l’avait respectée lui-même, pendant la durée de

  1. Comte d’Haussonville. Histoire de la politique extérieure du gouvernement français, t. I. p. 20. — Hillebrand, Geschichte Frankreichs, t. I. p. 11. Ces deux écrivains ne placent pas à la même date l’entrevue qu’ils racontent. Y eut-il donc deux entrevues différentes, et ; qui expliquerait la contradiction ?