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laborieuse et éclairée qui formait le principal appui du gouvernement nouveau. Elle détournait, avec une juste répugnance, ses regards de tous les maux que pouvait déchaîner une guerre générale et des excès révolutionnaires dont la victoire même aurait pu donner le signal. Mais elle n’était pourtant nullement résignée à faire à ce vœu très naturel aucun sacrifice de droit ou d’honneur. Rien ne ressemblait moins à ce besoin impérieux de repos qui n’a été que trop naturel à la France épuisée après nos derniers désastres : c’était un conseil de prudence, peut-être un calcul d’intérêt bien entendu, non un effet de découragement ou de lassitude. Qu’une cause légitime d’appeler aux armes se fût présentée, l’ardeur se fût réveillée même chez les plus sages. Je ne puis oublier dans quelle compagnie, assurément très pacifique, j’entendis alors, avec toute l’émotion d’un cœur d’enfant, un jour où l’on put croire qu’il fallait aller au-devant de la lutte au lieu de l’attendre, chanter en chœur le refrain de Béranger :


Le Rhin lui seul peut retremper nos armes !


Les nobles Chants du soldat de M. Déroulède, dont plus d’un n’a pas moins de valeur poétique, n’ont pas eu le même écho.

C’est que les revers qu’on déplorait alors avaient été mêlés de tant de jours de gloire que leur souvenir même ranimait l’espérance : le premier Empire avait péri dans une nuit d’orage dont les éclairs avaient embrasé l’horizon et laissaient les regards éblouis ; le second a fini dans un brouillard opaque dont aucune aube n’est venue dissiper l’ombre. Waterloo avait porté au flanc de la France abattue une de ces blessures d’où s’écoule un sang généreux et qui sont par-là même plus promptement cicatrisées ; Sedan a asséné un de ces coups de massue qui paralysent pour un temps le membre qu’ils frappent.

Le parti du gouvernement français fut donc tout de suite et très résolument pris, et M. Gendebien put rapporter à Bruxelles la certitude que la France ne se prêterait à aucune intervention étrangère en Belgique. La même déclaration, d’ailleurs, avait été déjà faite à la Prusse, avant que l’appel du roi des Pays-Bas fût officiellement connu et avant qu’elle eût été mise en demeure d’y répondre. Ce fut le sujet d’une entrevue demandée par le comte Mole, chargé des Affaires étrangères dans le premier ministère de Louis-Philippe, au ministre de Prusse, le baron de Werther, et qui dut avoir lieu dans l’hôtel particulier de M. Molé, les relations