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mesure de précaution, dont on avait, je l’ai dit, prévenu amicalement, la France.

Malgré ces raisons et ces facilités particulières d’entrer tout de suite en campagne, on ne pouvait attendre de la Prusse et de son souverain, prudent comme nous l’avons vu, et contrarié de tout ce qui dérangeait son repos, qu’il prît une résolution de ce genre, sans s’assurer qu’il ne serait pas laissé seul dans l’exécution et surtout sans savoir à quoi s’en tenir sur la conduite que tiendrait l’Angleterre, appelée comme lui à agir au même titre et dans les mêmes conditions. Mais, quand l’envoyé de Prusse à Londres vint poser la question au cabinet anglais, il le trouva livré à une extrême perplexité. En tout temps et pour un cabinet anglais quelconque, une expédition armée est toujours une grosse affaire. Ni le système militaire de l’Angleterre, qui lui donne peu d’hommes à mettre en ligne, ni le régime parlementaire, qui ne lui permet guère d’en bouger un seul sans discussion publique, ne se prêtent facilement à une manœuvre de ce genre ; et, avec les courans nouveaux de l’esprit public anglais, on ne pouvait savoir comment une telle proposition serait accueillie. Et cependant, s’il y avait jamais eu un engagement étroit et sacré, c’était celui qui liait l’Angleterre à la maison de Nassau, depuis des siècles déjà, mais surtout depuis cette aventure de réunion avec la Belgique, dont elle avait elle-même donné le conseil et presque imposé l’exécution. S’il y eut jamais un appel auquel ce fut un devoir de répondre, c’était celui que Guillaume adressait à ses patrons, je dirais volontiers ses parrains politiques, car c’étaient bien les ministres anglais eux-mêmes qui avaient présenté le royaume-uni à la consécration baptismale du Congrès de Vienne. Laissant même de côté cette obligation d’honneur à remplir, quel mécompte et même quel ridicule n’était-ce pas pour la politique anglaise que de laisser dissoudre sous ses yeux, sans résistance, une création artificielle qu’elle avait longtemps considérée comme le chef-d’œuvre de son art ! Pour le chef du cabinet en particulier, pour Wellington, quelle amertume de voir les forteresses qu’il avait élevées et armées lui-même, puis soldées avec l’or anglais, tombées au pouvoir d’une insurrection, et d’avoir ou à les reconquérir par la force, ou à les laisser passer à des mains inconnues, peut-être à celles mêmes de la France ! À cette seule pensée, tout le vieux sang du vainqueur d’Arapiles, de Talavera, et de Waterloo devait bouillonner dans ses veines.