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sut plus tard gagner sa confiance, qu’il avait un goût (et on disait volontiers autour de lui un faible) pour la compagnie des Françaises. C’est un fait connu que les souvenirs de jeunesse restent et même reviennent très vivans à l’âge où, au contraire, la mémoire des faits plus récens se confond et s’efface. Il avait été élevé à la cour de son oncle, le grand Frédéric, au temps où l’admiration de la Prusse était à la grande mode en France, et où les Français de toute espèce, gens du monde et de lettres, étaient empressés de venir à Berlin rendre hommage à leur vainqueur. Il aimait à se rappeler ces beaux jours et à oublier que les Français qu’il avait rencontrés depuis lors à Iéna, ne s’étaient pas montrés d’humeur si complaisante. Plus tard, il avait été bien (peut-être trop bien) reçu lui-même à Paris par une société qui laissait trop voir combien elle était heureuse d’être délivrée du joug impérial et savait gré à ceux qui l’en avaient affranchie. Il y avait laissé d’affectueuses, quelques-uns disaient même de tendres relations dont il aimait à garder la mémoire. De plus il ne chérissait pas seulement les souvenirs de son illustre grand-oncle ; il se piquait en plus d’un point de suivre ses exemples. Ainsi, il aimait à compter dans son entourage habituel des savans, des lettrés tels que Niebuhr et les deux Humboldt, à qui des travaux renommés avaient valu en France, dans le monde littéraire et libéral, des relations précieuses qu’ils tenaient à conserver, et qu’une rupture violente avec la France aurait compromises. Enfin il poussait l’imitation du grand homme jusqu’à s’occuper comme lui, personnellement, de la direction d’un Opéra, pour lequel il faisait venir de France des premiers sujets de chant ou de danse, et, après les représentations, auxquelles il assistait régulièrement, il faisait monter les plus applaudis pour leur faire compliment dans leur langue maternelle.

Bref, pour ces raisons et d’autres encore, le nom français étant on honneur à sa Cour, le comte de Lobau lut étonné de l’accueil qui lui fut fait. Le roi crut devoir lui dire lui-même que, si quelques ordres avaient été donnés pour mettre les places fortes du Rhin en état de défense, c’était une mesure de précaution contre des événemens imprévus, dont on ne devait prendre aucune défiance. A la vérité, les ordres qu’on lui avait dit d’attendre tardèrent quelques jours ; mais, quand ils arrivèrent, c’était accompagnés d’une invitation à dîner à Charlottenbourg, où il fut plus que jamais comblé de marques de distinction. Au nombre des