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l’engageaient secrètement à saisir les occasions naturelles de reprendre et d’attester son indépendance ; et c’est ce qu’il venait de faire avec un certain éclat en intervenant dans le conflit engagé entre la Russie et la Porte. La Prusse ne s’était pas alors associée au mécontentement de l’Autriche qu’elle n’avait en réalité aucun motif de partager, et c’était son représentant à Constantinople qui avait contribué principalement à faire accepter par la Porte des conditions de paix dont M. de Metternich avait été peu satisfait. La paix d’Andrinople, qui mit fin aux pénibles incertitudes de l’Europe, fut (dit un écrivain qui a eu tous les moyens d’être bien informé) l’œuvre personnelle de Frédéric-Guillaume[1].

Dans cette humeur ou plutôt cette velléité d’indépendance qui ne devait guère durer, les graves nouvelles de Paris lui parurent arriver à propos pour faire voir qu’il savait prendre son parti à lui tout seul et sans attendre un avis supérieur. Un courrier les lui apporta (dit toujours le même narrateur) à Pilsen où, revenant de Teplitz, il s’était arrêté pour dîner dans une villa de son ministre auprès de la cour de Saxe. Après le repas, il conféra, avec quelques conseillers qui l’accompagnaient, sur la conduite qu’il y avait lieu de tenir. Les avis furent différens ; l’un des présens, le prince Wittgenstein, s’écria qu’il fallait se mettre en campagne immédiatement pour sauver à tout prix la cause de la légitimité ; un autre, plus calme, fit remarquer que ce serait une grosse affaire, qu’il faudrait appeler la landwehr, qui n’était nullement préparée à une expédition de cette espèce. Après avoir réfléchi un instant, le roi dit au plus bouillant des deux donneurs d’avis : « Tout ce que vous dites est bel et bien, mais je ne puis pas faire ce que vous demandez : je n’ai pas assez de monde pour cela. » C’était dire que, ne se sentant pas assez fort pour agir seul, il ne voulait pourtant rechercher aucune compagnie.

Aussi, à peine de retour à Berlin, le 14 août, avant que le comte de Lobau, chargé de porter les complimens de Louis-Philippe, fût même parti de Paris, il fit expédier, à ses représentans à Londres, à Vienne et à Pétersbourg, une lettre circulaire leur

  1. Nous trouvons ce détail dans un écrit auquel le célèbre Droysen a attaché son nom et dont le but évident a été de montrer que la politique d’indépendance et d’hostilité contre l’Autriche et la Diète germanique qui a triomphé avec Guillaume Ier et Bismarck, avait été inaugurée par le roi Frédéric-Guillaume, son père, dès 1830 (Zeitschrift für Preussische Geschichte und Landeskunde, Berlin, 1874).