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l’Allemagne de M. de Bulow, — avons-nous à désirer et à nous assurer un plus grand nombre de points d’appui.

Avons-nous besoin de dire quelle est la conclusion de ce discours ? On la devine : elle était indiquée et commandée par la nature même du débat. Pour avoir une plus grande Allemagne, il faut d’abord que l’Allemagne ait une plus grande flotte. « Le moyen, a dit M. de Bulow, d’engager la lutte pour la vie sans être pourvu d’armemens puissans, lorsqu’on est un peuple de soixante millions d’âmes, situé au milieu de l’Europe, et qu’on lance partout ses antennes sur le terrain économique, ce moyen n’est pas encore trouvé. » Donc, l’Allemagne doit maintenir intacte son armée de terre, et pour le moins doubler son armée de mer. Alors, elle sera en mesure de faire face à toutes les éventualités. M. de Bulow en envisage quelques-unes, et il se livre même à ce sujet à des réflexions philosophiques. « Les trente dernières années, dit-il, ont apporté à l’Allemagne beaucoup de bonheur, de puissance, de prospérité. Cela est de nature à exciter l’envie : l’envie joue un grand rôle dans l’histoire des peuples. » L’histoire de l’Allemagne elle-même fournirait au besoin de nombreux exemples de cette vérité. On en retrouve même comme un écho rétrospectif dans le ton un peu amer de M. de Bulow, lorsque, se reportant au passé, il parle de l’impression pénible qu’éprouvait l’Allemand d’autrefois. « En dépit de notre haute culture intellectuelle, dit-il, les étrangers nous considéraient comme leurs inférieurs en politique et en condition sociale ; ils nous regardaient de haut, comme font d’arrogans gentilshommes à l’égard de modestes précepteurs. » Ces précepteurs étaient-ils si modestes ? Quoi qu’il en soit, ces temps sont déjà très loin et l’Allemand d’aujourd’hui n’est plus exposé à devenir « le valet des autres hommes ! »

Pourtant, M. de Bulow semble tourmenté d’une impatience secrète, et, malgré ses assurances pacifiques, il ne paraît pas encore tout à fait rassuré sur l’état de son pays, car il lance ex abrupto la prophétie suivante : « Dans le siècle qui vient, le peuple allemand est destiné à être enclume ou marteau. » Nous nous fions à lui du soin de n’être pas enclume : pourquoi et contre qui veut-il devenir marteau ? On peut, au total, n’être ni l’un ni l’autre dans une société à peu près civilisée. Mais il ne faut pas oublier que M. de Bulow avait à faire voter une loi militaire et que dès lors, dans son discours, d’ailleurs si mesuré et si sage, quelques phrases à effet étaient indispensables. Si l’Allemagne, malgré ses succès depuis trente ans, n’est pas complètement satisfaite, et si l’envie est destinée à jouer encore un