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essayant d’engager une négociation pacifique entre les deux compétiteurs du Nord : Il ne pouvait guère agir lui-même, n’ayant avec le camp moscovite aucune relation directe, mais d’habiles intermédiaires qu’il avait su se ménager tentèrent des ouvertures qu’on put croire un moment sur le point de réussir. Il y eut entre autres une intervention féminine qui faillit mener l’affaire à bien. Ce fut celle d’une grande dame polonaise, dont M. Syveton nous fait un portrait intéressant, la palatine de Bel, qui, toujours malade, toujours mourante, trouvait encore moyen, du fond de son lit, de nouer entre Vienne, Varsovie, Dresde et le camp russe une chaîne continue de trames et d’intrigues. Bref, ici encore, tout vint échouer devant un obstacle qui ne paraissait pas insurmontable, ce fut ce petit coin de terre suédois que ni l’une des parties intéressées ne voulut laisser prendre, ni l’autre ne consentit à restituer. Il est vrai que Pierre avait une bonne raison d’y tenir : c’était le lieu prédestiné qu’il avait choisi pour bâtir la ville qui s’appelait déjà Saint-Pétersbourg.

Il fallut donc voir Charles partir pour cette expédition qui l’éloignait de l’Europe, mais que tout le monde regardait comme une passe d’armes. On sait comment elle tourna, à quel prix et par quel chemin il revint. M. de Besenval aussi dut plier tristement bagage, médiocrement consolé par cette réflexion philosophique qui l’aidait à faire de nécessité vertu : « Décidément le caractère de ce prince est si singulier que je ne sais vraiment s’il est de l’intérêt du Roi qu’il se mêle ou non des affaires générales. »

C’est, après tout, le jugement auquel M. Syveton adhère : il incline à penser qu’appelé sur la grande scène de la politique européenne, Charles y aurait apporté plus de désordre que de profit pour ceux qui l’y auraient fait entrer, et que la France, en particulier, aurait eu en lui un allié dont les exigences et les caprices lui auraient causé plus d’un embarras. C’est une supposition qu’on peut faire. Il en est une autre qui est loisible également. On peut se demander si ce n’eût pas été un avantage pour l’Europe qu’au lieu d’aller se faire pulvériser à Pultawa, Charles eût élevé à l’entrée de la Pologne une barrière fortement constituée contre l’invasion de la Russie dans la politique de l’Occident. En disparaissant lui-même de l’histoire, Charles XII en a laissé la porte largement ouverte à Pierre le Grand.

Un passage des Mémoires de Saint-Simon permet au reste de juger quel effet produisit sur ses contemporains le séjour de Charles XII à Altranstadt, suivi de son départ pour la Russie. C’est la confirmation à peu près exacte du tableau présenté par M. Syveton, sauf l’accusation