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ambassadeur extraordinaire de la reine Anne, qui ne fut autre qu’un des héros du jour, le duc de Mariborough. Il arriva le front couvert des lauriers récemment cueillis à Blenheim et à Malplaquet. Le duc eut pour mission expresse (il en convient dans ses dépêches) d’empêcher un rapprochement entre la Suède et la France, dont on commençait à parler comme d’une chose possible. Tous les moyens devaient être employés pour prévenir cette fâcheuse conjonction, à tel point que par précaution (c’est encore le duc qui le raconte) il était muni d’une grosse somme d’argent, à distribuer entre ceux qui auraient besoin d’être convaincus par ce genre d’argument. Mais on ajoute qu’il trouva tout le monde si bien disposé qu’il put en faire l’économie.

L’audience donnée à Marlborough fut aussi solennelle et en même temps aussi cordiale que celle de Besenval avait été sèche et écourtée. Le roi, en le voyant entrer, fit quelques pas à sa rencontre, et le duc s’avança ayant le ministre anglais d’un côté, le ministre hollandais de l’autre, et l’ambassadeur de l’Empereur se tenant modestement en arrière. Il apportait une lettre de la reine qu’il présenta avec un compliment qui fut tout de suite traduit par le secrétaire présent en suédois. — « Je présente à Votre Majesté, disait-il, une lettre émanée, non de la chancellerie, mais du cœur de la Reine, ma maîtresse, et écrite de sa propre main. Si son sexe ne l’eût empêchée, elle eût passé la mer pour voir un prince que l’Univers admire. Je suis, en cette occasion, plus heureux que la Reine, et je voudrais bien faire quelques campagnes sous les ordres d’un aussi grand général que Votre Majesté, afin d’apprendre de lui ce qui me reste à connaître de l’art de la guerre. » Avec un tel langage, il n’était pas difficile de plaire. Mais le duc eut aussi un succès plus général auprès de tous les assistans. On remarqua, nous dit M. Syveton, un contraste entre l’élégance raffinée, la politesse de Marlborough et la rudesse grossière de Charles XII ; quelques Suédois essayèrent bien de rendre cette comparaison moins désavantageuse pour leur maître, en disant que le Duc avait plus l’air d’un courtisan que d’un soldat, et qu’on voyait bien que, s’il avait fini sa carrière par l’épée, il l’avait commencée par l’amour. Mais l’avis commun fut pourtant que l’humeur guerrière n’exigeait pas une tenue trop négligée, ni qu’on portât toujours des bottes et des buffles avec de plates et larges épées.

Quoiqu’il en soit, ambassade et ambassadeur, tout réussit à souhait pour le grand désespoir de Besenval. — « J’ai quitté Altranstadt, écrivait Marlborough lui-même, pleinement convaincu que le roi de Suède n’a aucune sorte d’engagement envers la France, et n’est enclin