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si l’on se décidait à rester à Leipzig, ce qui était plus commode et presque nécessaire, il fallait franchir plusieurs lieues pour venir chercher une audience que, même indiquée et convenue d’avance, on n’était pas toujours sûr d’obtenir.

Rien de plus piquant que le récit que M. Syveton nous fait de la première entrevue que Besenval obtint ainsi de Charles XII, non sans peine, après plusieurs jours d’attente.

Pour mettre la scène plus en relief, M. Syveton complote le fond du tableau par des détails pris également dans des sources diplomatiques non moins authentiques, et qui donnent plus de vie à sa peinture sans en altérer l’exactitude.

« Figurons-nous, dit-il, notre ambassadeur arrivant, non sans quelque surprise, à ce quartier royal d’Altranstadt dont tant de gens en Europe parlent sans le connaître, et qui est tout uniment une des plus tristes maisons d’un des lieux les plus sales de la Saxe, Il descend de son carrosse dans la cour qui précède l’habitation, où chacun met pied à terre au risque d’enfoncer dans la boue jusqu’au genou. Il jette un regard sur des chevaux qui sont attachés là, en plein air, sans râtelier ni crèche, avec des sacs pour couvertures, le poil hérissé, le ventre rond, la croupe large et la queue mal entretenue, avec le crin inégal. L’écuyer qui les garde ne parait ni mieux couvert ni mieux nourri que ses bêtes. L’un des chevaux est tout sellé ; en sortant de chez lui, le roi sautera dessus et partira au galop pour une de ces courses fantastiques dont il reviendra crotté comme un postillon… Décidément Charles XII doit bien être le soldat endurci, hostile à tous les plaisirs, que le public se représente. Enfin M. de Besenval va le voir de ses yeux. Il est introduit dans la salle des audiences, qui est la chambre même du roi. En avant des ministres, qu’il connaît déjà, il aperçoit une figure nouvelle. C’est un homme grand, bien fait, en habit bleu, avec des boutons de cuivre jaune, les bouts du justaucorps renversés par devant et par derrière pour montrer la veste et des culottes fort grasses. Le collet du surtout est boutonné si haut qu’on aperçoit à peine le crêpe noir qui sert de cravate. Ni manchettes, ni gants, la chemise et les poignets fort sales et les mains de la couleur des poignets. Les cheveux sont d’un brun clair, gros et courts, peignés avec les doigts. Cet homme malpropre est le vainqueur de Narva… M. de Besenval fait sa révérence et débite un beau discours. M. Hermelin(un des secrétaires) lui répond : c’est une harangue en suédois, à quoi M. de Besenval n’entend mot. Quand Hermelin a fini, M. de Besenval attend une phrase du roi, un salut de bienvenue… Silence…