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mari lui-même sera content, car elle ne s’inspire plus des morts, elle s’abandonne sincèrement à ses propres émotions, en oubliant tout ce qui avant elle a été fait, comme se pique de l’oublier Hamlin Garland lui-même.

Rose, n’ajoutera rien à la gloire du romancier de l’Ouest ; mais il serait regrettable qu’il n’eût pas écrit ce livre, si contraire, quoi qu’il en puisse penser, à la réalité humaine. Aucune femme, dans aucun pays, ne reconnaîtra pour sa pareille la prétendue jeune fille de l’avenir, telle qu’il l’offre à nos sympathies récalcitrantes ; du moins l’épouvantail est une bonne fois dressé devant ceux qui poursuivent des réformes trop rapides et trop absolues. En croyant proposer un modèle, Hamlin Garland a créé un monstre, et il n’y a pas de meilleures leçons que ces leçons involontaires. Quant à lui, il a, dans cette défense pleine de talent d’une cause douteuse, affirmé derechef la nature intransigeante, les convictions poussées à l’extrême, l’ultra-radicalisme et l’excessive candeur qui le rendent si intéressant. Ne craignez pas au surplus qu’il s’attarde outre mesure à Chicago, parmi les femmes fortes, les libres penseurs, les artistes avancés qui représentent la société de Rose et la sienne. Son dernier livre, Sur la piste des chercheurs d’or[1], est là pour nous rassurer.

Quand je lui demandai ce qui avait pu l’attirer au Klondyke, lui, l’ennemi de la richesse, il me répondit :

— Le même instinct qui m’avait emporté au Dakota en 1881, le plaisir de voir une multitude se précipiter vers le désert, l’idée que ce serait, au train dont va la colonisation, le dernier mouvement de ce genre que connaîtrait l’Amérique. Je voulais revenir à la solitude, entrer dans la région la plus sauvage qui nous reste, y oublier les livres, les théories d’art, les problèmes sociaux ; chercheur d’or, non pas, mais chercheur de nature, nature hunter.

Certes, il n’est pas revenu le carnier vide ; ses impressions, en prose et en vers, sont dignes du beau temps de ses Prairie songs. Il y a là des pages que l’on dirait crayonnées sur le pommeau de sa selle, en face des spectacles étranges, désolés, inabordables qu’il nous fait voir. Cette passion de la nature, ce besoin de la forcer dans ses repaires les mieux défendus et de l’interpréter en adaptant à chaque sensation le mot expressif et juste, tout cela

  1. The Trait of the gold seekers ; a record of travel in prose and verse, 1 vol. Macmillan, New-York, 1899.