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féminine sort du champ de maïs ; et le jeune couple disparaît dans un nuage de poussière. C’est ainsi qu’on se passera du consentement paternel dans la société future.

Révoltée aussi, non pas contre l’autorité des parens, mais contre son mari et contre sa besogne, — il est vrai que c’est pour un temps bien court, — la vieille et amusante Mrs Ripley. Nous voilà transportés dans un paysage de neige, la steppe balayée par la rafale où avance en butant, en trébuchant, son manteau gonflé comme la voile d’un navire, les bras chargés de nombreux paquets, une petite vieille presque aussi entreprenante à sa manière que les rudes gars des défrichemens. Trois mois auparavant, elle a signifié à son mari qu’ayant trimé pour lui toute sa vie, elle veut une fois se donner du bon temps, faire un voyage dans l’État de New-York, et le bonhomme, aussi cassé qu’elle-même, n’a essayé que faiblement de l’arrêter par des plaisanteries, car il sait que la volonté de cette maîtresse femme est inflexible. Sa volonté, elle l’a déployée au profit de tous, pendant des années de travail acharné qui ne lui ont laissé que la peau sur les os, sans s’accorder jamais un seul jour de répit. Mais le temps est venu pour elle, à soixante ans, des compensations. Elle le déclare d’un ton qui n’admet pas de réplique. Le vieux mari ne sait ce qu’il deviendra tout seul, avec son petit-fils, pendant les trois mois de folies qu’elle prépare ; cependant il ne montre pas son inquiétude ; il va en ville prendre un billet au chemin de fer, acheter les choses dont elle aura besoin, car la vie, tout en endurcissant ce rude travailleur, a laissé au fin fond de son âme cette réserve de tendresse, si curieuse à découvrir chez les plus durs d’entre les puritains, que ce soit à l’Est ou à l’Ouest. Secrètement attendrie, la voyageuse serait tentée de pleurer, mais elle se retient si bien qu’il peut la croire en colère. Elle ne demande rien, elle a économisé sou par sou ce qu’il lui faut ; et elle partira la tête haute, sans embrasser ceux qu’elle quitte, d’autant plus revêche qu’elle est plus émue.

Notre indomptable a déclaré qu’elle ne reparaîtrait que le 1er janvier. La voilà en effet qui, au jour dit, ayant eu son plaisir, revient allègrement à sa besogne, emportée par le vent dans les tas de neige qui menacent de l’engloutir, contente de tout ce qu’elle a vu, mais plus contente encore peut-être de rentrer dans sa cabane posée sur cette glaciale blancheur « comme un piège à poules. »