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argent en Angleterre pour plus de sûreté, ce pauvre diable a laissé sa toute jeune femme et trois petits enfans sur une terre grevée d’hypothèques, et il est allé se battre pour une idée. Folie, sans doute, mais folie sublime ! Et, presque après tous les autres, il revient lorsqu’on ne l’attend plus : la petite femme ne le reconnaît pas d’abord ; les enfans se demandent quel est cet étranger à si grande barbe ; et lui, cependant, éprouve une joie sans nom, l’ivresse d’être de nouveau un homme libre à qui nul n’a le droit de commander.

Les Main Travelled Roads (comme on appelle dans l’Ouest les grandes routes), six brèves histoires de la vallée du Mississipi, sont certainement, avec ses Prairie Songs, ce que Hamlin Garland a écrit de plus parfait. En les lisant, on subit la fascination de cette énergie virile qui est sa qualité maîtresse comme elle est celle de Kipling, mais la pitié ici se mêle à la vigueur, une pitié qui n’admire ni ne conseille le sacrifice ou la résignation, une pitié active et résolue au contraire, sans mélange de mysticisme, prête au combat et à la révolte pour faire prévaloir les droits de l’humanité au bonheur. La dédicace du livre est bien significative :


A mon père et à ma mère, auxquels un demi-siècle de pèlerinage sur la grand’route de la vie n’a rapporté que labeur et privations, ces récits sont dédiés par un fils qui chaque jour est plus profondément touché de leur héroïsme silencieux.


Et il ajoute :


La grand’route de l’Ouest est chaude et poudreuse en été, fangeuse et désolée au printemps ou à l’automne ; l’hiver, les vents y soulèvent la neige, mais parfois elle traverse un riche pâturage vibrant de la chanson de l’alouette… Et, si vous la suivez assez loin, elle vous fera dépasser une courbe de la rivière où rit éternellement l’eau rapide et peu profonde. En général, elle est longue et fatigante, avec une maussade petite ville à l’une de ses extrémités et à l’autre bout une maison où l’on travaille dur. Comme la grand’route de la vie, elle est parcourue par bien des classes de gens, mais ce sont les plus pauvres, les plus las qui sont les plus nombreux.


Puis, abandonnant l’allégorie, Hamlin Garland vous contera des choses terriblement réelles, des choses qui vous feront sentir que nos paysans de France vivent comparativement dans une atmosphère d’idylle. Par exemple, cette effrayante histoire d’une hypothèque (l’hypothèque est la plaie de tous les cultivateurs en Amérique) : Sous la griffe du Lion.