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Field, que j’eus la bonne fortune de rencontrer sur son propre terrain : « Le génie n’est pas ce que le commun des mortels appelle banalement l’inspiration ; c’est de savoir rester en face d’une idée. »

Hamlin Garland resta et reste encore en face d’une idée toujours grandissante chez lui : les ressources et la gloire de l’Ouest, l’inanité d’un passé mort, le devoir de s’élancer vers l’avenir sans regarder derrière soi. Une note parfaitement neuve et originale vibre dans son premier volume de vers : Prairie Songs[1] où il chante les terres planes du grand Ouest, avec l’unique but d’emprisonner dans ses poèmes, telle qu’il la vit, en y mettant toute la précision, toute la sincérité possible, cette rivale de la steppe et de la mer, la Prairie. Les choses y sont jetées à mesure qu’elles lui viennent, sous forme d’impressions rapides, mais si justes que l’on voit, que l’on sent, que l’on respire les aspects, les arômes, l’atmosphère de l’endroit. Ses vers vous frappent par la trouvaille toujours heureuse du mot, autant que par un sentiment d’ineffable mélancolie ; ils reflètent les effets de printemps, les neiges nocturnes, les scènes annuelles de la récolte du maïs, le passage des derniers buffles dépossédés de leur empire, la fuite menaçante du loup gris. Et la chanson du vent vous sonne changeante aux oreilles.

Vents des prairies où frissonnent les hautes herbes sauvages, — Vents où s’entre-choquent en rapide cadence les feuilles du peuplier, — Tandis qu’appelle plaintive la poule de prairie, — Et que sur le mode aigu chante la grenouille, — O vents de mon enfance lointaine, — Je vous attends, je languis de vous dans les villes, — J’aspire à mes prairies comme à la mer aspire le matelot.

Ces vents d’été qui baisent ses cheveux et font trembler les saules au-dessus de lui, il les a notés bien souvent avec la musique des cigales ; noté aussi le silence des plaines en juillet et les simples délices que verse la cruche fraîche au moissonneur altéré, et l’incomparable douceur de l’été indien qui, aux beaux jours d’automne, fait rougir le feuillage ; et ces rafales terribles sous lesquelles le bétail, rassemblé dans la plaine, s’en va en dérive comme font les bateaux à l’ancre sur la baie que balaye la tempête.

Toute son enfance est enchâssée dans ces bruits familiers, dans ces touches de couleur, dans ces jeux de lumière ; il se laisse

  1. Prairie Songs, Hamlin Garland, 1 vol. Cambridge and Chicago, 1893.