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Anglo-Saxons y débarquaient en masse pour y faire fortune ; et ils réussissaient presque toujours.

Depuis presque dix siècles déjà, presque tous les Bordelais récoltaient et vendaient du vin. Les marécages qui entouraient la ville avaient tous été mis en culture. Des sables de Soulac au pied des remparts et à 70 kilomètres au Sud, toute la plaine n’était qu’un immense champ de vignes. Le vin, sa fabrication, son classement et son placement, était de plus en plus l’élément de la richesse bordelaise, l’orgueil et la passion de toutes les classes de la société girondine. C’était avant tout une marchandise d’exportation. On l’expédiait en Flandre, en Bretagne, en Normandie, en Angleterre surtout, et on entourait cette dernière expédition de tout l’éclat et de tous les honneurs qu’on accorde aux affaires d’État les plus importantes. Les demandes de l’étranger étaient d’ailleurs tellement sûres et pressantes, que Bordeaux n’avait qu’à attendre qu’on vînt frapper à sa porte, et dictait ses conditions. « Tous les ans, les navires qui partaient « pour les vins » se groupaient vers l’automne sur un point du rivage anglais, désigné d’ordinaire par le roi, puis ils naviguaient de conserve vers Bordeaux. Des vaisseaux de guerre leur faisaient convoi « pour salvation et garde de la flotte, » Ce voyage était le grand événement de l’année[1]. « Le temps, écrivait Froissard en 1372, fut cette année si courtois et si bon que 200 nefs d’une voile, marchant d’Angleterre, d’Irlande, de Galles et d’Ecosse, arrivèrent au havre de Bordeaux, où ils allaient aux vins. » La flotte mouillait dans la Garonne, en face de la ville en fête, et elle en repartait couverte d’oriflammes, au bruit des salves d’artillerie, avec le même appareil militaire et solennel. La fortune de Bordeaux naviguait ainsi sous la garde et le pavillon du roi d’Angleterre[2].

C’était sans doute avec l’Angleterre et par mer que Bordeaux entretenait les relations les plus suivies, et en retour de son vin elle en recevait les laines, les cotons et tous les produits manufacturés de l’île de Bretagne ; mais elle commerçait aussi avec tous les pays voisins, et tous les jours arrivaient à ses portes, le plus souvent par des convois de terre, les métaux et les minerais d’Espagne, les marbres des Pyrénées, les résines des Landes, les huiles et les produits de tout le Midi. A certaines époques de l’année, la ville et ses abords étaient encombrés de marchandises, et le petit

  1. C. Jullian. Histoire de Bordeaux, op. cit.
  2. Cf. Registres de la Jurade, pass., et Froissard. Chronique de France.