Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 157.djvu/128

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ni enceinte ni murailles, dont quelques débris auraient pu permettre de reconstituer l’ancien périmètre. Dès le milieu du premier siècle, en effet, les Romains étaient absolument maîtres de toute l’Europe limitée au Nord et à l’Est par le Rhin et le Danube. Ils n’avaient d’ennemis qu’aux frontières ; là seulement ils entretenaient des troupes. Dans aucune ville de la Gaule on ne sentait le besoin d’une défense et d’une garnison. Rome n’exigeait et n’avait besoin d’exiger le service militaire d’aucun de ses peuples soumis. On estimait que des légions échelonnées aux points extrêmes de l’immense empire étaient suffisantes pour contenir les barbares. La confiance était absolue. Pendant trois siècles, on vécut ainsi à Bordeaux dans la richesse, le plaisir et le repos, et on crut pouvoir s’endormir dans le bien-être sans la moindre idée d’un danger extérieur.

Le réveil fut terrible. Vers l’an 276, sous le règne de Probus, quinze ans seulement après les constructions du grand amphithéâtre, la frontière craqua tout à coup. Sur dix points à la fois, les légions furent débordées, et Rome dut laisser aux provinces le soin de se défendre. Ce ne pouvait être bien long. La Gaule subit un pillage en règle. Les barbares arrivés devant Bordeaux ne trouvèrent ni remparts ni soldats, mais une ville très décorée, une campagne en pleine prospérité, une population tranquille, opulente, incapable de faire une résistance sérieuse. Tout fut à peu près anéanti. Temples, monumens de luxe, tombeaux mêmes furent pillés, mutilés, brûlés, transformés en décombres, et les hommes du Nord passèrent sur ces ruines comme un torrent.

Mais, dès que Bordeaux put se reprendre, elle profita de la leçon. Son premier soin fut de se concentrer et de construire une solide enceinte de murailles, réduisant la ville à une superficie cinq ou six fois moindre que celle de la grosse agglomération qui venait d’éprouver une ruine presque complète. Ausone nous a laissé une description enthousiaste de cette enceinte qu’il admirait avec emphase, comme tout ce qui touchait à sa patrie, et nous parle de ses murailles et de ses tours qui escaladaient le ciel. « L’enceinte carrée de ses murs, dit-il, élève si haut leurs tours altières que leurs sommets percent les nues. Au dedans, on admire le croisement de ses rues, l’alignement de ses maisons, la largeur de ses places ; à l’extérieur, les portes qui répondent directement à des carrefours. Au milieu de la ville, le lit d’un fleuve né d’une fontaine ; et, quand le Père Océan le remplit de