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vieux bourgs du pays dont les noms mêmes sont presque oubliés. Les anciens prieurés d’Exteremeyre et de Sainte-Foy, le château de la famille de Montaigne, sont également recouverts par les dunes. L’abbaye de Saint-Nicolas de Grave, bâtie en 1092, le monastère de Soulac, qui datait de Charles le Chauve, ont aussi complètement disparu, ensevelis sous les sables ou engloutis dans les flots.

Il y a six à sept siècles, le Vieux-Soulac était, sur la rive gauche d’un des deux bras de la Gironde, une ville florissante, commandant l’entrée du fleuve, sorte d’avant-port de Bordeaux ; ses rues portaient le nom de toutes les villes et de tous les pays avec lesquels il contractait des échanges ; sa rade était en quelque sorte l’analogue de celle du Verdon, et c’est par-là que les rois d’Angleterre prenaient encore la mer au XIIIe siècle. Le Vieux-Soulac a presque entièrement disparu sous le sable. La belle église, qui porte si bien le triste nom de Notre-Dame de la Fin-des-Terres, a seule survécu, à demi minée, longtemps abandonnée, perdue au milieu des dunes, à 800 mètres d’un groupe de maisons qui ont pu être sauvées, dressant encore sa tour, qui servit pendant si longtemps de signal aux navires qui entraient en Gironde et est encore considérée comme un amer par toutes les barques qui longent la côte. Il existe peu de ruines au monde d’un aspect plus pittoresque et dont la conservation semble plus précaire et moins assurée. Le noble édifice, qui date déjà de plusieurs siècles, n’a pas seulement contre lui l’usure et les lentes dégradations, conséquences naturelles de son âge avancé ; le temps est un ennemi commun à tous les travaux de l’homme. L’église de Soulac a eu à lutter contre deux autres beaucoup plus terribles, la mer et le sable mouvant. Une première dune a passé sur elle comme une vague ; mais elle l’a heureusement franchie, et l’église, enterrée pendant deux siècles, s’est lentement exhumée d’elle-même ; dans cette épreuve, une partie de la voûte de l’abside s’est effondrée, et quelques murs ont été renversés. Une nouvelle dune qui la menaçait encore a été définitivement fixée ; et ce qui reste de l’édifice a été sauvé par la végétation qui l’environne et l’enguirlande comme une parure. Pour l’ingénieur et l’archéologue, c’est un document et un jalon, rappelant l’ancien état des lieux et les vicissitudes de cette partie de la côte de Gascogne ; pour l’artiste et le penseur, c’est un merveilleux décor et un précieux souvenir.