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envers le comité qui pourra prononcer contre eux le blâme et l’exclusion. Tout cela peut nous donner un aperçu de la manière dont les socialistes comprendraient la liberté de la presse, s’ils étaient au pouvoir. Au point de vue électoral, les candidats ne seront pas rattachés au comité par une chaîne aussi courte. Le comité ne leur donnera pas d’investiture et ne choisira entre eux qu’au second tour de scrutin. Ils devront seulement signer le programme minimum du parti, tel qu’il a été libellé à Saint-Mandé par M. Millerand lui-même : internationalisme, lutte de classes, conquête des pouvoirs publics. Si on interdit aux collectivistes les portefeuilles ministériels, on les invite au contraire à poursuivre tous les mandats électifs. Qu’ils entrent surtout à la Chambre aussi nombreux que possible : seulement, une fois-là, ils formeront un groupe unique, placé sous le contrôle direct du comité général, et celui-ci devra les amener « autant que possible » à l’unité de vote. Le métier de député, ou même de journaliste socialiste, deviendra relativement facile, puisqu’on saura d’avance tout ce qu’on doit dire et tout ce qu’on doit faire : le premier venu, ou peu s’en faut, pourra le remplir ; mais quelle sujétion !

La fin du Congrès n’a pas ressemblé au commencement. Toute l’organisation que nous venons d’exposer avait été préparée par une commission, qui avait réalisé elle-même le phénomène de l’unanimité : tous ses membres s’étaient mis d’accord sur tous les points. Quand on l’a su, l’enthousiasme a été général, et la même unanimité s’est reproduite dans le Congrès. On se serrait la main ; pour un peu, on se serait embrassé. Il n’y avait plus que des amis et des frères. On chantait en chœur l’Internationale, qui est devenue le chant officiel des socialistes, et qui paraît destinée à prévaloir sur la Carmagnole. L’unité était acquise, cette unité que la presse socialiste avait juré de réaliser, et dont la presse indépendante avait parié avec quelque scepticisme. Elle n’y croyait pas ; on lui a fait honte de ses doutes ; et pourtant elle les conserve. Ceux mêmes qui se flattent le plus haut d’avoir fait l’unité savent bien que, si elle a paru se produire artificiellement dans un vote contradictoire, on aura beaucoup de peine à la maintenir. Au fond, le parti socialiste reste divisé, mais il est organisé ; il l’est plus et mieux que tous les autres, ce qui lui donne pour le moment sur eux une supériorité d’un ordre spécial. Il est désuni sous son unité apparente, et M. Jaurès aura beaucoup à faire pour ramener entre ses membres la « cordialité » qui devrait, d’après lui, présider à leurs rapports. Mais, à défaut de cordialité, la discipline est un lien très vigoureux.