Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/955

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettre en grève. Ils avaient un ami au pouvoir ; ils seraient aidés et soutenus. L’événement a trahi leur confiance candide. Au Creusot, on leur a donné tort contre le patron. À Belfort, on les a arrêtés par la force dans leur marche sur Paris. Un orateur, — nous ne savons plus lequel, — a dit que cette politique aurait pu être celle de M. de Mun. Tous ces discours ont été une récrimination amère et violente. Mais, en dehors des discours publics, qui conservaient une certaine tenue, il fallait entendre les interruptions qui s’élevaient de toutes parts, et les grondemens sourds d’où jaillissaient les expressions les plus brutales et les plus injurieuses qu’on ait jamais entendues dans une réunion publique. Cependant on voulait l’union. On a essayé de la préparer dans une commission qui s’est d’abord partagée en deux moitiés absolument égales, et qui a enfin arrêté une rédaction transactionnelle. Jusqu’au dernier moment, on s’est demandé si les paroles échangées dans la commission, si les engagemens pris, si les promesses faites seraient tenus. À deux ou trois reprises, M. Jules Guesde a paru vouloir se ressaisir et rentrer dans son intransigeance, au moment de se résigner à un accord contre lequel tout en lui se révoltait. On entendait alors monter la voix de M. Jaurès, tantôt indignée et tantôt douloureuse, tantôt chargée de colères et tantôt pleine de supplications. Finalement l’esprit politique, l’esprit parlementaire l’a emporté. Le besoin de concorde, au milieu même des discordes déchaînées, était si vivement senti par tous, que chacun reculait devant la responsabilité d’une rupture. On a voté sur une équivoque. Il a été décidé qu’un socialiste ne pouvait pas entrer dans un ministère bourgeois, — le principe de la lutte des classes s’y opposait, — et il y a eu, pour l’affirmer, une majorité de 818 contre 634 ; mais, aussitôt après, on a admis l’exception, qui pouvait être justifiée par des circonstances exceptionnelles, et la majorité a été, cette fois, de 1140 voix contre 245. C’était, en somme, le triomphe de M. Jaurès. Les termes de cette transaction sont significatifs. Le Congrès, en admettant, sous la pression du fait accompli, qu’un socialiste pouvait être ministre, ne s’en est pas tenu à cette formule vague : il a précisé, il a déclaré que, dans chaque cas particulier, le parti devrait être appelé à examiner s’il y avait lieu d’appliquer la règle ou l’exception. En tout cas, une fois entré dans un ministère, un socialiste devra y apporter avec lui le programme minimum du parti et ne rien négliger pour l’y faire prévaloir. Il n’aura pas la liberté des autres ministres. Sa dépendance sera aussi étroite que possible : il devra rester en rapports constans avec le comité général, dont il est l’homme-lige, le représentant docile et soumis.