Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/953

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Jules Guesde et M. Vaillant ; mais les jeunes, les coryphées de l’École normale et du barreau, hommes de tribune et de couloirs, ont été enchantés de voir à côté d’eux un orateur dont la parole agressive et mordante pouvait leur être si utile, et qui était passé maître dans tous les exercices parlementaires. Au bout de peu de temps, le parti s’est trouvé composé de deux fractions distinctes : l’une qui pouvait se vanter et se vantait en effet de l’avoir créé et organisé, l’autre qui lui avait donné son existence parlementaire et l’avait révélé au grand public. La première croyait à la révolution comme but et comme moyen ; la seconde croyait plutôt à l’évolution et, sans exclure la violence, estimait qu’on pouvait user d’autres moyens. Tout le monde était d’accord pour proposer la conquête des pouvoirs publics ; mais, quand il s’agissait du gouvernement lui-même, les anciens voulaient s’en emparer en bloc et d’un seul coup de main, tandis que les autres espéraient y parvenir plus sûrement par voie d’infiltration. Il y avait là deux méthodes correspondant à deux tendances, à deux caractères différens de l’esprit humain : on les retrouve partout. Tôt ou tard, le socialisme grandissant devait produire ces divergences ; mais le brusque avènement des parlementaires, leurs manières nouvelles, leurs allures conquérantes, le dédain qu’ils dissimulaient mal pour des procédés arriérés, la nécessité pour le parti de se transformer à mesure qu’il s’étendait et qu’il devenait une immense entreprise électorale, tout cela, en déroulant les vieilles habitudes, devait à la fois déconcerter et irriter ceux qui les avaient longtemps pratiquées. Le désaccord était déjà très profond, quoiqu’il n’eût pas encore éclaté au grand jour, lorsque M. Millerand est entré au ministère. MM. Jules Guesde et Vaillant ont lancé contre lui un manifeste sévère. C’était la rupture. L’église naissante était menacée d’un schisme qui, en la coupant en deux, en aurait pour longtemps paralysé l’essor. De là est sorti le Congrès national. Il avait pour mission de se prononcer sur le cas de M. Millerand et de constituer l’unité du parti.

Il n’a tenu que six séances, à la vérité très longues, — l’une d’elles s’est prolongée jusqu’à deux heures du matin ! — et prodigieusement agitées. On a pu vraiment voir le fond des âmes, et on n’y a vu que la discorde et souvent la haine. Nous renonçons à expliquer en détail comment le Congrès a été formé, et quelles « organisations » il représentait. Ce mot d’organisations est celui dont se servent les socialistes pour désigner leurs groupemens : il y en a d’ordres très divers, depuis les anciens groupes allemanistes, broussistes, guesdistes, etc., jusqu’aux simples comités électoraux et aux coopératives. Il y a aussi les