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vous obligera à orner vos phrases, empêchez-le de vous y forcer plus que de raison ! »

Un style simple, et dont toute l’élégance ne consiste qu’à bien traduire la pensée, un style aussi dépourvu que possible d’épithètes voyantes, un style de conteur et non point de peintre, tel est, précisément, le style de Stevenson : et le grand mérite de ses récits consiste en ce qu’ils sont, avant tout, des récits, au contraire de la plupart des romans d’à présent, où le désir de raconter est subordonné au désir de décrire, ou d’analyser, ou encore d’affirmer et de démontrer. Mais Stevenson n’admet pas, non plus, qu’on puisse tout raconter. Il insiste à plusieurs reprises sur la nécessité, pour le romancier, d’éviter la laideur, qui, à aucun prix, ne saurait trouver de place dans une œuvre d’art. « Le laid, dit-il, n’est jamais que la prose de l’horrible, et celui-ci n’a de raison d’être que s’il est poétique. C’est quand on est incapable d’écrire Macbeth qu’on écrit Thérèse Raquin. Les modes ne sont qu’extérieures : elles n’influent sur l’essence de l’art que pour étendre ou restreindre le champ de son application. Et en tout temps et sous toutes les modes le grand homme produit de la beauté, de la terreur ou de la joie, tandis que le petit homme produit de l’habileté (personnalités, psychologie, etc.) au lieu de beauté, de la laideur au lieu de terreur, et des farces au lieu de joie. Et cela a été dès le commencement, et est maintenant, et sera jusqu’à la consommation des siècles. Ainsi soit-il ! » C’est encore ce qu’il exprime, en d’autres termes, quand il écrit que « le réalisme n’est qu’une affaire de méthode, » et que « l’art véritable, qu’il soit idéaliste ou réaliste, s’adresse aux mêmes sentimens et emploie les mêmes moyens, ses deux objets étant toujours d’émouvoir et de charmer. »

Je dois ajouter que l’esthétique de Stevenson n’est pas faite seulement de ces principes négatifs. Un principe positif les domine dans toutes ses lettres, un principe qui consiste à affirmer que le romancier a le devoir de voir, d’entendre, de sentir lui-même l’action de son récit. Et ce principe-là n’est point venu à Stevenson de ses lectures ni de ses réflexions : il répond à l’essence même de son tempérament d’écrivain. Ce qu’on a pu dire de Balzac, que les personnages de ses romans avaient à ses yeux plus de vie que les êtres réels, on pourrait non moins justement le dire de Stevenson. Lui aussi a été un « imaginatif, » infatigable à promener sa fantaisie dans un monde d’aventures et de passions fictives. La fiction était pour lui un besoin naturel : il ne pouvait penser aux sujets les plus abstraits sans voir aussitôt des images vivantes se dresser devant lui. C’est ce que nous prouvent ses lettres,