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personnage de M. Dévore. Car l’auteur s’est arrangé pour nous rendre odieux cet honnête homme. Il en fait une sorte de tortionnaire des consciences en même temps que de phraseur imbécile. Il lui prête des raffinemens de cruauté. C’est lui qui fera lire à son fils les lettres de l’épouse coupable. C’est lui qui fera signer à Montret un acte l’empêchant de revoir sa fille, acte dont en sa qualité d’ancien magistrat il n’ignore pas l’illégalité. C’est absurde. Peu importe. Il faut à tout prix que le représentant des principes de la morale et de la famille soit un affreux bonhomme. C’est un Croquemitaine, un monstre à effrayer les gens. C’est le maniaque de l’honnêteté. Tout maniaque est dangereux. Aussi l’unique conclusion qui se dégage de la pièce de M. Dévore est-elle celle-ci : « Méfiez-vous des maniaques ! Ils arriveraient à vous rendre les coquins sympathiques. » Et voilà en quoi la Conscience de l’enfant est une pièce manquée.

Si la pièce dans son ensemble est loin d’être bonne, les morceaux en sont meilleurs. Certaines silhouettes sont agréablement esquissées : celle par exemple du lamentable Emmanuel, un bon type de nigaud dont tout le souci est qu’on ne le trouble pas dans sa sérénité, et qui n’aime pas les « histoires ; » celle encore du jeune chimiste qui ne se résout pas à être un mari, un père, un homme, parce que cela le dérangerait dans ses études. Quelques scènes sont menées avec vigueur, et le dialogue, s’il a peu de rapports avec la littérature, a de la prise sur le public.

M. Georges Berr a dessiné avec beaucoup de justesse la figure de ce nigaud d’Emmanuel. C’est de tous les interprètes le seul qui mérite d’être mis hors de pair. Les autres, M. Silvain (Cauvelin), M. Paul Mounet (M. Richard) ont tout juste interprété convenablement des rôles d’une allure très conventionnelle. M. Worms est trop grave et trop sombre dans son personnage de lanceur d’affaires et de viveur. Mme Baretta, Mme Pierson sont très touchantes. Mmes Wanda de Boncza et Lara sont fort insuffisantes.


Il faut un titre à une pièce. C’est la raison pour laquelle M. Abel Hermant a intitulé sa pièce : le Faubourg. C’est l’unique raison. Ceux qui s’attendraient à trouver dans ces quatre actes l’étude des mœurs qui sont celles de notre vieille aristocratie et le développement d’un drame qui est la conséquence directe de ces mœurs, seraient fort déçus. Au surplus, par son inconsistance et sa fragilité, cette pièce si superficielle échappe à toute critique. Les mœurs de notre société aristocratique constituent-elles un des principaux dangers sociaux