Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec la « nature. » À cette lignée appartient la pièce que vient de faire représenter M. Gaston Dévore, pièce touffue, confuse, lourde, maladroite et maladroite au point d’être une pièce manquée, mais qui néanmoins témoigne d’un honorable effort et contient des parties intéressantes. Un M. Cauvelin, ancien magistrat, nous est donné comme le représentant de l’honneur intransigeant, le héraut du devoir, des vieux principes, des traditions de famille. Et il faut avouer que pour un homme qui tient par-dessus tout à l’irréprochable honorabilité de la famille, M. Cauvelin a joué de malheur. Il a un fils, Emmanuel, qu’il a marié à une certaine Éva. Il a une fille, Jenny, qu’il a mariée à un certain Montret. Ce Montret est un brasseur d’affaires ; les affaires qu’il brasse sont de celles qui tôt ou tard ont leur dénouement sur les bancs de la police correctionnelle ; entre temps, et pour se distraire, il trompe sa femme avec sa belle-sœur Éva qu’il entretient luxueusement. Quel gendre ! Quelle bru ! Non, en vérité, M. Cauvelin n’a pas eu de chance avec les gens qu’il a introduits dans sa famille.

Aussi, dès que des révélations précises l’ont averti de son erreur, il s’emploie avec hâte et férocité à chasser les intrus. Il renseigne Jenny sur le compte de son mari : c’est un escroc et il la trompe ; il faut qu’elle divorce. Il renseigne Emmanuel sur le compte de sa femme : c’est une coquine ; il faut qu’il divorce. Mais dans cette universelle dislocation, que va devenir la fille de Jenny et de Montret, l’infortunée Germaine ? Cette Germaine est « l’enfant » dont la conscience va être torturée par ce drame de famille. Elle a vingt ans. Elle aime un jeune chimiste. Elle aussi, l’intègre Cauvelin l’a renseignée. Il lui a appris à se méfier de son père. Donc vers le milieu du troisième acte, il semble bien que la partie soit définitivement perdue pour Montret. Afin d’éviter la banqueroute, il s’est prêté à tous les arrangemens qu’on lui a imposés. Il accepte des combinaisons financières qui ont pour objet de le réduire à l’impuissance ; il accepte le divorce ; il accepte de signer un papier par lequel il s’engage à ne plus jamais revoir sa fille, Germaine. Grâce à cette absolue élimination du père indigne, on se retrouvera entre honnêtes gens chez le grand-père Cauvelin et Germaine pourra épouser le jeune chimiste.

C’est ici l’instant décisif. Tout n’est pas fini, comme on pourrait le croire. Au contraire, c’est maintenant que l’auteur commence à nous dévoiler ses intentions. Mme Montret découvre tout à coup qu’elle ne peut pas abandonner son mari. Germaine s’avise qu’elle ne peut pas abandonner son père. L’épouse a consulté son cœur, l’enfant a consulté sa conscience. Ainsi soutenu par ces deux femmes, le financier