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dévouement et d’abnégation… » Ces beaux lieux communs, — qui ne sont des lieux communs que parce qu’ils traduisent des vérités de tous les temps, — illustrent la trame de la pièce de M. de Bornier. Ce sont eux qu’on a salués d’applaudissemens unanimes.

Ces vérités devaient être dites, et M. de Bornier a su les dire. L’expression chez lui n’est pas inégale à l’idée et le style s’élève chaque fois qu’il est porté par la pensée. Il foisonne de vers sonores et drus, éclatans de vigueur, de franchise et de santé. Ces vers sont, pour reprendre un mot connu, « beaux comme de la belle prose. » Cela même est la caractéristique de ce talent d’écrivain qui arrive, à force d’honnêteté à l’éloquence, à force de conviction intime à l’originalité, à force de noblesse à la poésie. Ce drame est-il le couronnement de la carrière de M. de Bornier, ou la verte vieillesse du poète abordera-t-elle d’autres tâches ? Dès maintenant cette carrière, à l’envisager dans son brillant début et dans son terme, nous apparaît singulièrement enviable. A deux reprises, au lendemain de désastres inégaux mais analogues, à l’heure où l’âme française aspirait à se reprendre et à se fortifier par l’expression de sentimens qui sont vitaux pour elle, il est arrivé que, sans rechercher l’allusion et n’obéissant qu’à la poussée intérieure, M. de Bornier ait porté au théâtre l’expression de ces sentimens. Cette rencontre entre l’âme d’une œuvre et l’âme collective d’un pays fait l’honneur de l’homme et la gloire de l’écrivain.

Le drame de M. de Bornier est joué par la troupe de l’Odéon avec une louable conscience. Chacun a fait ce qu’il pouvait et donné tout son effort. Mme Segond-Weber a composé le rôle de Blanche de Castille avec beaucoup d’intelligence et de goût. La diction est juste en dépit de la voix défectueuse. L’attitude a de la dignité. C’est très bien. Ce n’est pas mieux. Tel est le seul reproche qu’on puisse adresser à l’estimable artiste. Mlle Laparcerie exagère le côté mélodramatique d’un rôle de mélodrame. Ce n’est pas la faute de l’excellent Albert Lambert père s’il a plus de bonhomie que d’autorité dans un rôle où il faudrait plus d’autorité que de bonhomie ; non plus que celle de Mlle Régnier si elle joue en fillette le rôle du petit Louis IX, j’allais dire du petit Joas. M. Chelles dans le rôle du traître, M. Marquet dans celui de l’amoureux transi, M. Daumeric, dans celui du bon routier, méritent leur part d’éloges.


Diderot, La Chaussée et beaucoup d’autres en leur temps firent des tragédies bourgeoises, sentimentales, larmoyantes et déclamatoires où il était abondamment parlé de la « vertu » que d’ailleurs on confondait