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ou tout au commencement de 1799. Les événemens qui se précipitèrent ensuite et le coup d’État de Brumaire empêchèrent sans doute Mme de Staël de publier l’ouvrage : désormais, il était sans objet : la république et la liberté avaient succombé.

Du moins, c’est l’honneur de Mme de Staël et de son groupe politique d’avoir tenté de fonder en France un régime social sur les plus nobles conquêtes de la Révolution : les idées de droit, de justice, de tolérance et de liberté. À cette époque, la foi républicaine de Mme de Staël était profonde et sincère, enthousiaste même. Elle avait momentanément renoncé à son ancien idéal d’une royauté constitutionnelle à la mode anglaise ; elle comparait irrévérencieusement ce genre de gouvernement à l’antique machine de Marly, compliquée et bruyante. Son ami Benjamin Constant n’avait pas peu contribué sans doute à lui démontrer la « nécessité de se rallier au gouvernement actuel, » et elle s’y était ralliée avec une ardeur incroyable. Mais elle était persuadée, non sans raison, que les institutions avaient devancé les mœurs. « Le grand malheur de la Révolution de France, écrit-elle, c’est qu’elle a devancé les lumières d’un demi-siècle. » Et, courageusement, elle s’était mise à la tâche : elle rêvait de donner à la France ce qui lui faisait le plus défaut, un esprit public. Dans une société profondément bouleversée, secouée par de fréquentes convulsions, oscillant entre les deux extrêmes, l’esprit réactionnaire et l’esprit terroriste, dont l’un eût voulu tout anéantir du présent et l’autre faire table rase du passé, elle conviait tous les honnêtes gens, tous les écrivains, tous les politiques à s’unir dans une œuvre commune, qui était d’aider un grand peuple à poursuivre l’apprentissage de la liberté. Quelques mois avant le coup d’État de Brumaire, elle essayait de sauver les conquêtes républicaines par l’esprit républicain, sans le secours du despotisme. « Il presse, il presse extrêmement, s’écriait-elle avec angoisse, que les républicains changent de système. » Et, traçant à grands traits un largue tableau des maux dont souffrait la France, elle en indiquait les causes et les remèdes.


I

Il s’agissait tout d’abord de « terminer la Révolution, » c’est-à-dire de mettre un terme à l’état révolutionnaire, à l’emploi de l’arbitraire et de la force. Notons, en passant, cette erreur