Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/9

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
LA FRANCE
ET
LA QUESTION D’EXTRÊME-ORIENT

Depuis des siècles, la Chine vivait isolée, enfermée dans ses traditions et dans la contemplation de sa grandeur passée, fière de son immobilité et dédaigneuse des « barbares d’Occident. » La civilisation moderne, bruyante, expansive, conquérante par nécessité économique, venait se heurter aux portes hermétiquement closes du Céleste Empire ; elle envahissait l’Inde, elle entamait l’Indo-Chine, elle pénétrait par le nord jusqu’aux rives du Pacifique, elle transformait en quelques années le Japon ; les races européennes peuplaient le monde ; l’Amérique et l’Océanie s’animaient d’une vie nouvelle ; l’Afrique allait livrer ses secrets ; mais la Chine restait vierge de tout contact étranger : il semblait que le peuple le plus anciennement civilisé dût être aussi le dernier à adopter les procédés et les modes de la civilisation nouvelle. Sa vie économique, tout interne, ne lui faisait point une loi de l’exportation et de l’échange avec l’étranger ; elle se suffisait à elle-même, à peine effleurée par les caravanes mongoles ou les vaisseaux anglais. Grouillant et pullulant comme une race de fourmis, les Célestes vivaient d’une vie très intense, cultivaient leurs champs, trafiquaient entre eux par leurs fleuves, leurs canaux et les restes de leurs routes ; ignorans du monde extérieur, ils ne souhaitaient pas d’être connus de lui ; le mystère de leur âme restait, comme leur langage, impénétrable et intraduisible aux Occidentaux. Il fallut des coups de canon pour que les Européens pussent enfin, en certains points, s’accrocher, pour y faire du commerce, aux flancs de l’immense empire, où, jusque-là, quelques