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sous-marin, à chaque instant détruit et reconstruit par deux forces opposées, le courant du fleuve qui le pousse au large et la marche du flot qui tend à le ramener en rivière. Les eaux de l’Adour, aujourd’hui contenues entre deux jetées, franchissent cette barre et y creusent un sillon tantôt dans une direction, tantôt dans une autre ; ce sillon est la « passe. » La position et la profondeur de cette passe varient avec l’état de la mer et le volume des eaux du fleuve. En temps de crue et avec une mer calme, la barre est repoussée au large et la passe profonde ; en temps de sécheresse, lorsque les eaux de l’Adour sont basses et presque sans courant, la mer reprend l’offensive ; et, si les vagues déferlent alors avec violence, la barre s’avance et la passe tend à se combler. C’est une lutte incessante entre deux ennemis : le fleuve et la mer ; et on comprend très bien que, lorsque l’Adour n’était pas maintenu par deux jetées, armé en quelque sorte pour faire face à l’attaque du flot, et qu’il débouchait librement sur la côte balayée par les vagues, l’embouchure devait présenter une stabilité très précaire.

Il est impossible de déterminer au juste l’emplacement de cette embouchure à l’époque des premiers navigateurs phéniciens, cinq ou six cents ans avant notre ère, ni même à l’époque romaine ; mais il est probable qu’elle était beaucoup plus au Nord et devait correspondre à peu près à l’emplacement actuel de Cap-breton. À 2 kilomètres environ après Bayonne, l’Adour, arrêté par les sables amoncelés par les vents et le courant qui domine sur la côte de Gascogne, quittait brusquement sa direction de l’Est à l’Ouest, déviait vers le Nord, traversait les territoires d’Ondres et de Labenne, remontait en sens inverse du courant littoral, parallèlement à la côte dont il était séparé par un cordon de dunes, et venait déboucher à l’extrémité de ce cordon au petit hameau désigné sous le nom de « la Pointe, » et qui était bien en effet une pointe de sable avancée un peu au-dessous de Cap-breton.

Un accident géologique très curieux sépare brusquement en cet endroit la région pyrénéenne de la région landaise : c’est une sorte de fiord sous-marin, tranchée rocheuse très profonde, désignée sur les vieilles cartes sous le nom pittoresque de « Gouff, » et qu’on appelle aujourd’hui la « Fosse de Capbreton. » C’est dans ce Gouff, dont la direction est à peu près perpendiculaire à la ligne si droite du rivage, que venaient se jeter les eaux de