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CÔTES ET PORTS FRANÇAIS DE L’OCÉAN

Il y a là tout un monde de souvenirs, et Fontarabie est en réalité un musée en plein air. Ce n’est pas seulement sa rue principale, la Calle Mayor, qu’il faut visiter, c’est encore et surtout l’enchevêtrement d’une infinité de petits couloirs tortueux : — la Calle del Obispo, la Calle de Fuentès, la Calle de las Tiendas, la Calle Ubilla, la Calle San Nicolas, la Calle del Sol, — convergeant toutes vers la Plaza de Armas, sombres et fraîches comme les plus vieilles rues arabes de Cordoue et présentant une succession presque ininterrompue d’hôtels démantelés, à demi ruinés, souvent déserts, mais qui mériteraient presque tous, de la part de l’artiste, de l’archéologue ou de l’historien, une visite détaillée, une étude curieuse, une sorte d’inventaire[1].

De distance en distance, quelques maisons basques modernes projettent en saillie leurs galeries de bois ; mais presque toutes les habitations, aujourd’hui occupées par la population ouvrière, les artisans, les pêcheurs de la Madalena, ont été de somptueux palais. Au sommet de portes romanes ou en ogive, donnant accès à de pauvres boutiques ou à de modestes ateliers d’espargatas, se dessinent en-vigueur d’énormes écussons armoriés, surmontés de couronnes et de casques, encadrés de trophées d’armes, d’anneaux, de guirlandes, de torsades et de feuillages en pierre, de devises généalogiques, portant les plus grands noms de la Biscaye, du Guipuzcoa et de ce curieux pays basque où le moindre paysan se flatte d’avoir d’authentiques quartiers de noblesse. Lions, loups, lièvres, chiens, chevaux, oiseaux, poissons, sirènes, vierges et saints, anges et amours, croix de Malte et de Saint-André, étoiles, cœurs, feuilles et fleurons, armes, filets et tridens, se succèdent de porte en porte au-dessus de toutes les fenêtres géminées et grillées, au-dessous des consoles et des créneaux, dans l’intervalle de balcons en fer merveilleusement ouvragés, à la base et au sommet de colonnettes en encorbellement qui décorent tous les murs de la vieille cité, jadis opulente, aujourd’hui presque éteinte et définitivement ruinée. Cette ornementation excessive est, à la vérité, un peu lourde et emphatique ; elle a plus de force que de grâce ; elle manque un peu de délicatesse et de goût ; mais elle frappe par sa puissance, sa variété et sa vigueur. Tout un passé glorieux revit dans ces restes. C’est sans doute la pauvreté et l’abandon, précurseurs d’une mort peut-être prochaine ;

  1. Xavier de Cardaillac, Promenades artistiques, Fontarabie, 1896.