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l’Allemagne, de l’Angleterre et des États-Unis. Tel homme d’avenir, intelligent, actif, avisé, à la recherche de commanditaires pour créer un établissement industriel, les trouverait peut-être plus aisément, s’il devait fixer son entreprise à l’étranger.

L’abondance et la confiance des capitaux sont la première des conditions auxquelles se fonde la grande industrie. L’intelligence dans la direction n’est pas moins essentielle. Les classes ouvrières ne s’en rendent pas assez compte. Il ne s’agit pas ici de la direction technique : ingénieurs, chimistes, mécaniciens, etc., mais de la direction générale, non moins essentielle. L’esprit démocratique fait peu de cas de la valeur des individus ; il oublie que, selon le mot de Goethe, « c’est une tête qui fait mouvoir des milliers de bras. » Il oublie l’importance personnelle de ces conducteurs d’hommes et d’entreprises, fondateurs de cités industrielles, grand capitaines de l’industrie. Existerait-il un Creusot sans un Eugène Schneider ; un Pittsburg sans un Carnegie ? Tous les socialistes reconnaissent que les salaires croissent en proportion de la grandeur des industries, que, par suite, l’ouvrier américain est, à ce point de vue, de beaucoup le mieux partagé. Or, il n’existe pas de pays où les affaires soient conduites d’une façon plus autocratique, plus monarchique, et cela avec des unions ouvrières étroitement organisées. Un Carnegie, qui occupe le premier rang dans le monde pour la fabrication de l’acier Bessemer et des rails d’acier, un Rockfeller, ce roi du pétrole, doivent leur succès à la quantité de capitaux dont ils disposent, à la situation particulièrement avantageuse de leurs usines et de leurs mines, et par-dessus tout aux dons remarquables de leur intelligence et à leur étonnante activité[1]. Ces hommes conduisent leurs entreprises gigantesques comme s’il s’agissait d’une petite industrie, d’un petit commerce. La tendance française va bien plus vers la complication : l’unité, l’indépendance de direction souffre de tout l’enchevêtrement d’un appareil bureaucratique, de l’humeur tatillonne des conseils d’administration, qui devraient se bornera un contrôle. On conçoit ce que deviendraient les industries soumises à des conseils électifs d’ouvriers, discutant non plus seulement des questions de sécurité, comme dans les mines, de règlemens, de salaires, mais intervenant dans la conduite même de l’usine. Le régime parlementaire a donné, partout ailleurs qu’en Angleterre, des résultats si

  1. De Rousiers, les Trusts en Amérique, 1898.