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résultat de l’affaire Dreyfus, avait son contre-coup dans la région. Mille à quinze cents jeunes ouvriers réussirent à entraîner dans une grève la masse flottante, à la fin de juin, au moment où les commandes abondaient, où le travail était pressant. Ils obtinrent gain de cause au bout de cinq jours, non seulement une augmentation de salaire, mais la reconnaissance d’un syndicat, susceptible, dans l’esprit des meneurs, de comprendre un jour dix mille membres, et de tenir en échec l’autorité patronale ; M. Schneider respectait le droit des ouvriers de former des syndicats, déclarait qu’il recevrait ses ouvriers individuellement, comme par le passé, sans se préoccuper de savoir s’ils étaient ou non syndiqués, mais il réservait sa liberté absolue de traiter directement avec eux seuls, sans aucun intermédiaire[1]. Une si longue fermentation ne pouvait disparaître complètement. La grève, sous un prétexte futile, recommençait du 20 au 29 septembre. Elle n’avait d’autre but que de consolider les résultats obtenus par le mouvement de juin. On en connaît les incidens, et la solution du conflit par la sentence arbitrale de M. Waldeck-Rousseau, qui, fait remarquable, a satisfait tout le monde. M. Waldeck-Rousseau établissait une sorte de Conseil d’Usine, comme il en existe en Angleterre, devant se réunir tous les deux mois, composé de représentans élus non par le syndicat, mais par tous les corps d’ouvriers, indistinctement. Un second syndicat s’est constitué depuis dans les usines du Creusot, en opposition à l’esprit foncièrement hostile du premier. Quel que soit celui des deux qui l’emporte, les organisations ouvrières sont introduites dans l’usine.

La première grève du Creusot s’est étendue par contagion à Montceau-les-Mines, qui se trouve à deux heures de distance. Les mêmes agitateurs, venus du dehors, y ont fait avec succès la même prédication.

Plus encore que le Creusot, la compagnie des mines de Blanzy, dont dépend Montceau, offre le modèle d’une institution d’ancien régime, dans la meilleure acception du mot. Les écrivains socialistes ne cessent de nous dépeindre l’inhumanité du régime de la grande industrie, plus dur pour l’ouvrier que ne le fut l’esclavage. L’employeur, disent-ils, n’achète sur le marché que la force musculaire, sans se soucier de la créature humaine ; le maître soignait l’esclave quand il était malade, il n’épuisait point

  1. Documens officiels sur la grève du Creusot, p, 4.