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sont mis en grève, toutes les autres corporations du bâtiment ont cessé le travail. Les tueurs de l’abattoir de la Villette suspendent leurs tueries ; aussitôt les charcutiers se joignent à eux, et les agitateurs s’efforcent d’entraîner tout le service de l’alimentation. Il suffit d’un petit syndicat de puisatiers de 150 membres pour provoquer la grève des terrassiers, puis des ouvriers du bâtiment, qui comprit jusqu’à 20 000 travailleurs ; et un essai de grève générale des employés de chemins de fer, pour toute la France, fut risqué au même moment. De véritables épidémies de grèves se répandent sur toute une contrée, telles les grèves de Saône-et-Loire, de la région de Belfort ; la grève des mineurs, en Belgique, s’étendit à presque tous les bassins houillers. Les chefs des dockers de Londres essayèrent de débaucher, à la suite des ouvriers du port de Hambourg, ceux des ports belges, anglais, hollandais et français. Ce fut une tentative de grève internationale.

Les patrons se solidarisent pareillement : de la cause d’un seul ils font la cause de tous : dans une entente commune, ils ferment leurs usines. Les mécaniciens de Londres, lors de la dernière grève, n’avaient déserté les ateliers que par fractions. Ceux qui restaient devaient venir en aide aux chômeurs volontaires. Les patrons déclarèrent le lock out général, qui atteignait près de 100 000 personnes : la grève, plus étendue, pensaient-ils, durerait moins longtemps. En Danemark, un lock out général, jusqu’alors inouï, a déterminé une grève générale proportionnellement la plus vaste qu’on ait encore vue.

En même temps que les coalitions, les buts poursuivis s’étendent. Il ne s’agit plus seulement d’augmentation de salaires, de diminution d’heures de travail, d’ouvriers renvoyés ou de contremaîtres à congédier, d’enfans ou de femmes introduits à l’atelier, d’inspection du travail, de circonstances de la fabrique, mais bien d’un véritable changement de régime dans l’usine, selon le sens de la démocratie. C’est le caractère le plus frappant des récentes grèves, et sur lequel on ne saurait assez insister.

Le Creusot n’était qu’un village au commencement du siècle : l’établissement industriel n’avait guère d’importance, lorsque les Schneider frères et Cie en prirent possession le 21 décembre 1830. Le Creusot, qui travaille aujourd’hui pour l’armée, pour la marine, fabrique des canons à tir rapide, des mortiers, des obusiers, des tubes lance-torpilles, des tourelles, des plaques de blindage