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encore n’y a-t-il guère que 200 000 syndiqués qui le soient autrement que de nom, et qui paient des cotisations régulières. La moitié au moins des syndiqués est étrangère au collectivisme. Mais l’influence des syndicats s’étend bien au-delà de leur nombre effectif. C’est le levain qui, à un jour donné, suffit à faire lever la pâte.

Non seulement les forces ouvrières commencent à s’organiser mais déjà elles se concentrent, grâce aux Bourses du Travail, fondées depuis la loi de 1884. Il en existe actuellement 55, comprenant près de la moitié du nombre total des ouvriers syndiqués. Fondées dans les villes, grâce aux subventions annuelles des municipalités, dont la moyenne est de 900 à 20 000 francs[1], et analogues aux Conseils locaux de syndicats qui existent en Amérique, elles comprennent des ouvriers syndiqués de tous les métiers d’une même ville, réunis dans l’immeuble de la Bourse où ils trouvent de nombreux avantages matériels. C’est, pour la population ouvrière, une prime à se syndiquer. Les Bourses ont une tendance à neutraliser les syndicats en matière politique, sinon religieuse. On écarte les sources de querelles pour ne songer qu’aux intérêts professionnels. Elles ont dépassé le rôle modeste de bureaux de placemens, — que leur assignait M. de Molinari, lorsqu’il en eut le premier l’idée, vers 1843, — pour devenir des foyers d’éducation et de propagande. Elles organisent des bibliothèques, des conférences, des cours professionnels, des caisses de secours pour les ouvriers de passage, s’occupent de la lutte économique, de la propagande dans la campagne. Ce sont les « temples du travail, » les « cellules de la société future[2]. »

Les Bourses du Travail marquent le trait particulier de l’organisation ouvrière en France, comme les Trade-Unions en Angleterre et les Coopératives en Belgique. « Leur création, remarque M. Sombart, est une preuve de la façon intensive dont une partie du mouvement syndical se développe en France. Les ouvriers français, jusqu’ici révolutionnaires et politiques, commencent à

  1. Le total de subvention des Bourses s’est élevé en 1898 à 343 590 francs. Les frais de fonctionnement de la Bourse du Travail de Paris sont inscrits au budget communal pour une somme de 182 500 francs.
  2. Voyez dans la Revue parlementaire du 10 septembre l’article sur les Bourses, de M. Fernand Pelloutier, le distingué secrétaire de la Fédération qu’elles ont formée.