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socialisme européen, par exemple la journée de huit heures ; elles s’avancent avec ardeur dans la voie « du collectivisme constitutionnel. »

Les Belges ne le cèdent pas aux Anglais en esprit pratique. Le monde ouvrier est divisé, comme le pays lui-même, en syndicats socialistes et en corporations chrétiennes. Les uns et les autres tirent pour la propagande des ressources considérables de leurs coopératives. Les socialistes en ont fait les arsenaux et la forteresse de leur parti. Ces coopératives comptaient, en 1897, 50 000 membres, et ce nombre est aujourd’hui bien dépassé. A la Maison du peuple, de Bruxelles, dans le Vooruit de Gand, les socialistes réalisent une partie du programme des réformes ouvrières : assurance contre le chômage, assurance mutuelle contre la maladie, retraites annuelles, etc. Ces établissemens sont conduits avec une sévère discipline, à laquelle les ouvriers ont tant de peine à se soumettre, quand elle leur est assignée par les patrons. Avant de faire de la politique, les socialistes belges ont ainsi commencé à organiser les ouvriers, et à se procurer des ressources pour mettre une armée et un trésor de guerre au service de leurs revendications démocratiques, à la Chambre et dans le pays[1].

L’Autriche est revenue depuis 1885 au régime de la corporation forcée. L’Allemagne fait reposer ses lois d’assurance obligatoire sur les corporations industrielles. Les syndicats allemands sont libéraux (Hirsch-Duncker Vereine) ou catholiques, ou rattachés à la social-démocratie. Ces derniers possèdent le plus grand nombre d’adhérens. Mais, parmi les social-démocrates, il existe une vieille jalousie entre les organisations politiques et les organisations syndicales. Au début, les syndicats n’étaient considérés par les marxistes que comme un champ de manœuvre, où s’instruisaient les soldats socialistes. Or, les ouvriers mettent au premier plan leurs intérêts économiques de chaque jour ; et la lutte pour les soutenir prime toute autre considération. Catholiques, ou libéraux, ou socialistes, ils finissent par comprendre que, divisés par les opinions et les croyances, ils restent étroitement unis en vue de ces intérêts vitaux. Menacés dans leur liberté de coalition par l’esprit de réaction qui a dicté au gouvernement allemand la Zuchthausvorlage ou loi du bagne récemment rejetée au Reichstag, ils cherchent à se rapprocher, à imiter les ouvriers

  1. F. Destrée et E. Vandervelde, le Socialisme en Belgique, 1898.