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de coalition, ni du droit d’association, elles se voyaient dénuées de toute liberté de mouvement, condamnées à rester isolées, privées du droit de s’entendre légalement entre elles, et de discuter leurs conditions de travail, afin de pourvoir à leur existence, d’améliorer leur situation. Nous disons légalement, car, en fait, les ouvriers se soulevaient par une commune entente, suscitaient des grèves, qui parfois dégénéraient en véritables émeutes, comme en Angleterre, au temps du Chartisme, et en France, après 1830. La législation des pays industriels devait finir par reconnaître, non seulement le droit de coalition passagère, mais celui d’association fixe : le mouvement ouvrier, pensait-on, n’en deviendrait que plus réglé ; au troupeau impulsif succéderaient de petits corps organisés, avec des chefs, et les solutions des difficultés du travail prendraient plus aisément une tournure pacifique.

Partout, dans la seconde moitié du siècle, les organisations ouvrières, les syndicats professionnels, conséquences de la concentration des industries, font de rapides et croissans progrès. Mais elles présentent un caractère différent, dans chaque peuple, selon le degré du développement industriel, l’état politique, les qualités et les défauts de la race. L’obstacle législatif une fois écarté, il reste celui de l’incapacité des ouvriers à s’organiser eux-mêmes.

C’est en Angleterre, grâce aux libertés publiques, à l’esprit pratique, à la fois individualiste et porté vers l’association libre, que l’organisation ouvrière, reconnue par la loi dès 1824, a pris les plus grandes proportions. Le nombre des ouvriers syndiqués dépasse actuellement le chiffre de un million six cent mille, un cinquième environ des ouvriers industriels. Les travailleurs anglais ne sont pas arrivés d’emblée à cette organisation parfaite. Ils ont traversé une période de troubles qui durèrent jusqu’en 1848, et qui faisaient craindre une révolution. Ce n’est qu’à partir de 1850 que les grandes Unions de métiers, formées d’ouvriers qualifiés, payant régulièrement des cotisations très élevées, commencèrent à entrer dans une ère de prospérité, et à former dans le monde du travail une sorte d’aristocratie, louée par les économistes et les publicistes conservateurs. M. et Mme Sidney Webb, dans leur Histoire du Trade-Unionisme[1], et M. Paul de Rousiers[2]ont admirablement mis en lumière l’histoire,

  1. Giard et Brière, 1897.
  2. Le Trade-Unionisme en Angleterre, A. Colin, 1891. — La Question ouvrière en Angleterre, Firmin-Didot, 1195.