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mourir au milieu des miens et il me le refuserait ! Papa dit que ma lettre est bien. Nous verrons si le roi me répondra. »

Au milieu de ses souffrances, la petite duchesse n’oublie pas ceux qui lui donnent des soins. « Holland me soigne avec une bonté parfaite. Il passe des heures à me consoler quand je souffre trop et que je me mets à pleurer. Bertin vient aussi tous les jours pour me panser et me témoigne un égal dévouement. Si je vis, je n’oublierai pas les soins qu’ils m’ont donnés. En général, on a été très bien pour moi dans ce pays. »

Le roi ne répondit pas de sa main à la lettre de la duchesse Decazes, mais il lui en fit écrire une, « très sèche, » par laquelle il la prévenait qu’un congé avait été accordé à son mari, et qu’en conséquence, elle pourrait partir dès que les médecins le lui permettraient. En même temps qu’arrivait cette réponse indirecte, la température s’adoucissait sensiblement et l’autorisation de se mettre en route fut donnée.

« Dieu soit béni ! s’écrie la duchesse. Bertin m’accompagnera dans ma voiture et jusqu’à Calais, où Dubois viendra me chercher. J’ai dit adieu au docteur Holland. J’ai reçu de nombreuses lettres de regrets. Ce qui me paraît singulier, c’est l’espèce de phrase qu’on me fait toujours sur ma santé. On ferait bien mieux de ne m’en pas parler. Elisabeth ( ? ) est venue m’embrasser. Elle a beaucoup pleuré et moi aussi. Je ne sais pourquoi je lui inspire de la pitié, car je n’ai pas peur de la mort. J’ai peur seulement de ce que je vais souffrir pendant la route. J’ai deux vésicatoires, un sur la poitrine, un dans le dos, et les jambes ouvertes, de telle sorte que je ne puis me tenir debout sans qu’elles saignent horriblement. Je ne verrai pas Thérèse. Ses enfans ont la fièvre scarlatine. Mon vieux comte est venu prendre congé de moi. Il m’a apporté un camée de lui qui est son portrait. Mon Dieu ! qu’il est laid ! C’est égal, il me rappellera ses bons soins. »

Jamais plus épouvantable voyage que celui dont nous devons à la duchesse une brève relation, écrite beaucoup plus tard, d’après des notes formant la suite de celles qu’on vient de lire et qu’elle n’a pas cru devoir conserver.

« Arrivée à Douvres, on crut que je ne pourrais pas aller plus loin. Mais la volonté m’en donna la force. La traversée fut affreuse. On avait mis ma voiture sur le pont, mais on l’avait mal attachée, ce qui donnait un double mouvement et augmentait mes souffrances. Je n’avais pas le mal de mer, mais des convulsions.