Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 156.djvu/827

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ai tout jeté au nez. Il était furieux. Pourquoi me trompe-t-il ? J’ai été bien grondée. Papa prétend que je suis trop grande pour faire des choses semblables. Il a raison. Mais je suis aussi trop jeune pour souffrir tout ce que je souffre. »

On voit que Madame l’ambassadrice est encore enfant par plus d’un côté, enfant et espiègle, s’amusant de peu. « Je me suis abonnée chez un marchand de gravures. Il m’envoie tous les deux jours un volume de caricatures anciennes ou nouvelles. Il y en a une où l’on voit le roi George et la reine se jetant de la boue, qui est charmante… Les enfans de Thérèse (Esterhazy) sont malades et elle aussi. On vient de faire une opération à Mme de Lieven. Le corps diplomatique est donc à l’hôpital. »

Puis, c’est le récit d’une algarade des plus vives causée par un fou qui, le 13 février, jour anniversaire de la mort du duc de Berry, se présente chez l’ambassadeur de France pour l’assassiner comme complice de Louvel. Heureusement, l’ambassadeur est absent et on peut emmener cet aliéné, non sans qu’un jeune attaché, M. de Billing, qui se trouvait là, revêtu de son uniforme, ait été obligé de tirer l’épée pour défendre les gens de l’ambassade : « Le matin même, j’avais remis à M. de Billing cette épée que le général Rapp m’avait envoyée pour lui. En la lui remettant, je lui avais dit qu’elle lui porterait bonheur. Il est venu tout triomphant me raconter que c’était pour moi qu’il en avait fait usage la première fois. Je lui ai dit que je lui souhaitais que ce fût toujours pour une aussi juste cause. »

Quelques jours plus tard, elle écrit :

« Mon père et ma mère sont partis. Il paraît que la souffrance rend indifférent, car je n’ai pas été très affligée en leur disant adieu. Bertin était allé trouver Dubois à Calais. Ils ont décidé qu’épuisée en ce moment par cinq saignées et des remèdes violons, je ne pouvais me mettre en route. J’ai écrit au roi pour lui rappeler ses anciennes bontés et je lui demande en grâce de me permettre d’aller mourir en France[1]. S’il savait ce que je souffre, il ne me refuserait pus. Mon père lui portera lui-même ma lettre. Mon mari ne sait pas cette démarche. Ma lettre est un peu sèche. Elle ne pouvait être autre. Il y a un an, je lui demandais le rappel d’un exilé et je l’obtenais. Aujourd’hui, je lui demande d’aller

  1. On sait qu’à cette date, Decazes avait obtenu déjà son congé, mais en des circonstances et dans des conditions telles qu’il s’était dispensé d’en parler à sa femme pour n’avoir pas à lui montrer les lettres du roi qu’on a lues plus haut.