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par de tels hommes et ne pas croire que c’est eux qui gouvernent, puisque c’est à eux qu’on obéit ? Pour moi, j’obéirai à la santé de ma femme. Dans le malheur dont je suis menacé, c’est mon premier devoir. J’obéirai ensuite à mon père et à mon roi, quand ils m’auront entendu. Si les médecins ordonnent le voyage du Midi, rien ne me retiendra à Paris. Rien ne m’en chassera, s’ils prescrivent d’y rester. On pourra m’arracher du corps de ma femme, mais il faudra m’en arracher, et l’on apprendra à méconnaître. »

Ces propos témoignent de beaucoup d’exaltation. Mais celle de Decazes était au comble, alors qu’il sentait de toutes parts la main de ses ennemis et qu’il voyait le roi et les ministres subir leurs exigences au point d’oublier son dévouement et ses services. Sa patience était à bout. Il ne voulait plus se laisser sacrifier. En adressant au roi un suprême appel, il espérait ranimer la tendre bienveillance des anciens jours, qu’avaient refroidie les influences étrangères, contre lesquelles son éloignement le laissait impuissant et désarmé. Mais son espérance fut déçue.

Le 28 février, le roi lui écrit :

« Probablement, mon cher duc, ceci ne vous trouvera qu’en France. N’importe, je veux toujours répondre à votre lettre du 23. L’état de la petite me fait saigner le cœur et son courage m’arrache des larmes. Quant à moi, je souffre beaucoup moralement et pour vous et pour moi. Mais ce que je vous ai écrit le 14 l’a été après mûre réflexion et en pleine connaissance de l’état des choses et des esprits. Rien n’est changé à cet égard, et la triste résolution que je vous ai annoncée, je l’exécuterai, si j’y suis contraint. »

Ce qu’il a dit le 28 février, il le répète avec plus de force le 14 mars, et il y met l’accent d’un souverain qui veut être obéi.

« Comment pouvez-vous imaginer que je dissimule ce que mon cœur souffre ? Je ne le pourrais pas, et quand je le pourrais, je ne le voudrais pas. Il faut, dans ma position, subir la dure loi de la nécessité et remplir avec fermeté les obligations qu’elle impose. Ce que je vous ai écrit est mon ultimatum. J’y tiens avec résolution, peut-être avec courage, mais j’en souffre. Vouloir le cacher serait une faiblesse, peut-être même une fausseté inutile, car, Dieu merci, personne ne me croirait. »

Et comme Decazes, comprenant le péril d’une plus longue résistance, s’est excusé d’avoir affligé son père et son roi, celui-ci le rassure, tout en demeurant inébranlable dans ses résolutions.

« L’un et l’autre le sont. Mais c’est à cause de vous, et non