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ultras, à qui ils venaient de faire une place dans le cabinet, en y appelant Villèle et Corbière, et en nommant Chateaubriand, pour désarmer son opposition, ministre de France à Berlin. Cette nomination, c’est le roi qui l’avait annoncée à Decazes :

« Je viens de voir mon nouveau ministre de France à Berlin. Il est entré d’un air fort embarrassé ; il a commencé par me dire que si quelque chose m’avait déplu dans sa conduite… La langue me démangeait. Mais, j’ai craint de faire le deuxième tome du maréchal de Villeroy, et prenant autant que je l’ai pu l’air digne et serein, je lui ai dit que nous commencions une nouvelle ère, que j’avais cru bien faire de lui confier une mission dans laquelle j’avais été parfaitement bien servi par M. le marquis de Bonnay, et que j’étais persuadé qu’il m’y servirait de même. Nous avons ensuite échangé quelques mots insignifians, et je lui ai fait ma révérence. »

Devant ces succès de la droite, soulignés par la joie bruyante de Monsieur et de ses familiers, et facilités par la faiblesse dont témoignait le roi depuis que Decazes n’était plus auprès de lui, les inquiétudes de celui-ci redoublaient. Il voyait à une échéance prochaine Richelieu renversé, car l’extrême droite victorieuse ne consentirait pas à le laisser à la tête du gouvernement. Il se voyait lui-même obligé de quitter son ambassade pour n’en être pas chassé. Dès lors, ne valait-il pas mieux rentrer à Paris et tâcher de retenir le roi qu’il sentait prêt à lui échapper, avant de le laisser devenir le prisonnier des ultras ? Au cours de ces incidens, un ami qui avait vu Pasquier et causé avec lui confiait à Decazes les particularités de cet entretien.

« Il m’a laissé entendre que ce n’était que prétexte de querelle que vous cherchez pour revenir à Paris ; qu’il n’ignorait pas que des imprudens vous en donnaient le conseil ; que cependant votre retour ne pouvait pas avoir lieu en ce moment ; que le roi ne vous accorderait pas de congé ; que Mme Decazes pourrait venir à Paris, mais sans vous ; que Sa Majesté s’en était exprimée en ces termes ; que d’ailleurs, M. de Richelieu avait positivement déclaré que si vous reveniez habiter Paris, n’importe dans quelle situation, il quitterait aussitôt le ministère, ne voulant pas être ministre de nom et vous de fait ; qu’en outre, si vous pensiez sérieusement à rentrer dans les affaires, on vous éclairait bien mal sur votre situation, surtout vis-à-vis de la Cour et de la famille royale, où vos ennemis étaient plus puissans et plus actifs que jamais. »

Decazes n’était que trop disposé à considérer de tels propos