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Mais, il n’en résulte pas que l’ambassadeur doive être tenu dans les limbes ; il faut au contraire l’armer de toutes pièces. En général, il faut laisser à sa judiciaire le soin de juger ce qu’il doit taire, ce dont il peut parler, enfin ce qu’il peut communiquer in extenso. Il y a cependant des cas où il est bon de lui prescrire une de ces trois conduites. On ne fait rien de tout cela vis-à-vis de vous, et l’on a tort. En outre, tout en disant, mon cher ami, ce qui rappelle un peu cet endroit du roman de Caroline de Litchfield où deux vieux personnages en venaient aux grosses injures, sans cesser de s’appeler mon cher chambellan et ma chère baronne, on vous parle avec une morgue… dont je crains bien que vous soyez blessé. Mais, nous sommes ici à confesse et il faut tout dire, à charge comme à décharge. J’ai lu une lettre du prince Esterhazy dans laquelle il rapporte que vous vous êtes ouvert à lui sur le trop de réserve dont on use à votre égard. Cette confidence à mon avis trop expansive me fait de la peine, parce que je crains qu’elle ne gâte la cause. Toute cette affaire me chagrine comme roi et comme homme. Comme roi, vous sentez ma position et vous comprenez que je suis, par suite de tout ceci, dans des circonstances fort tristes et fort épineuses ; comme homme parce que lorsque votre cœur souffre pour un, le mien souffre pour dix. Espérons que votre démarche vis-à-vis du duc de Richelieu remettra tout d’aplomb. »

De ces lettres et d’autres qui suivirent la mercuriale du 30 décembre, il est aisé de conclure que Louis XVIII s’efforçait de tempérer sa sévérité d’un jour, d’en effacer les traces, en témoignant à son favori cette longue bienveillance qui, malgré tout, ne se lassait pas et à laquelle Decazes devait d’avoir été compris récemment, à l’occasion de la naissance du duc de Bordeaux, dans une promotion de cordons bleus. Au commencement de janvier 1821, l’ambassadeur étant allé visiter l’établissement thermal de Bath dans le comté de Somerset, le roi en profitait pour rappeler un souvenir de son exil.

« Si j’avais pu prévoir que vous iriez jusqu’à Bath, je vous aurais engagé à donner un coup de pied jusque dans Great Pulteney street, numéros, si je ne me trompe, 71 et 72. C’est là que j’ai habité pendant cinq semaines ; c’est là que j’ai appris la bataille de Leipsick et la révolution de Hollande ; c’est là que, même avant ces grandes nouvelles, j’ai été comblé des attentions de mon ami John Bull. Aussi m’est-il resté de Bath un souvenir