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voix beaucoup plus qu’il n’avait coutume de le faire quand il écrivait « à son fils : »

« J’ai reçu tout à l’heure, mon cher duc, votre lettre du 26 et j’y réponds dès aujourd’hui, parce que la veille et le jour de l’an sont encore pires que ceux de Noël. Cette lettre m’a fait de la peine. Je ne connais pas le texte même de la dépêche chiffrée. Ainsi, je n’en puis ni défendre ni condamner la forme. Mais, pour le fond, s’il vous blesse, vous avez tort. Comment ! on saura qu’une ouverture qui vous a été faite[1], que vous avez prise ad referendum et, comme de raison, transmise ici, aura été présentée ailleurs comme venant directement de nous ; on saura qu’un homme qui vous fait cent amitiés écrit chez lui le diable de vous ; que ses caresses ne sont que fraudulenta oscula blandientes ; et vous donner des avis si importans, ce serait vous blesser ! Non, en vérité, vous ne pouvez pas le penser. Je pourrais m’étendre sur ce chapitre ; mais je crois en avoir dit assez. Vous souffriez quand vous avez reçu la dépêche chiffrée ; vous souffriez quand vous m’avez écrit. C’est une triste explication de tout. J’aimerais cent fois mieux que vous eussiez reçu une offense réelle et que vous vous portassiez bien. »

Une telle lettre ne pouvait qu’irriter Decazes contre ceux qu’à tort ou à raison il accusait de lui aliéner le cœur du roi et de lui fermer à lui-même la route de Paris. Il était convaincu que des complots s’ourdissaient contre lui, que Monsieur et les ultras avaient entrepris de le perdre en le calomniant et que le ministère se faisait le complice de ces intrigues. Néanmoins, il se fût résigné à ronger son frein dans la crainte d’offenser le roi par son insistance, s’il n’eût été tenu de lui faire remarquer que l’avis qu’on prétendait lui avoir envoyé et dont Louis XVIII lui reprochait de s’être offense ne lui était jamais parvenu.

« Mon cœur était malade sans doute, répondait-il, il l’est encore beaucoup ; mais mon esprit ne l’était pas et ne le sera jamais assez, j’espère, pour être blessé d’un avertissement utile comme l’eût été celui que le roi suppose qui m’a été donné. C’est en lisant la lettre de mon père que j’ai entendu parler pour la première fois d’ouvertures faites à moi et transmises comme venant de moi et de lettres où l’on dit le diable de moi. On ne me parle pas ordinairement aussi clairement. On m’avertit seulement que je

  1. Il s’agissait des affaires de Naples et Decazes dut répondre au roi qu’aucune ouverture ne lui avait été faite, ni aucun avis donné.