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pareilles idées. Croyez-vous qu’il ne m’en coûte pas d’être éloigné de vous, de ne plus jouir de nos douces soirées ? Mais, je sais plier sous la main de fer de la nécessité. Vous êtes ambassadeur, il faut l’être. Cela est plus important que de venir faire connaissance avec les nouveaux députés. Vos ennemis savent bien leur métier. Ils parlent constamment de votre retour, de votre entrée au ministère. Cela tient les esprits en agitation ; cela empêche ce que mon cœur désire le plus au monde, qui est que la masse se refroidisse et réfléchisse. Je suis sûr que, si cela arrivait, les trois quarts diraient : — « Dans le fait, il n’est pas si méchant que je le croyais. » Alors, tout serait sauvé. Mais la cicatrice ne se fermera pas, tant qu’on frottera les lèvres de la plaie. Ne les frottez donc pas et empêchez des amis au moins imprudens de les frotter.

« Pour moi, je l’ai dit à toute la terre, je vous aime trop pour vous rappeler au ministère en ce moment. Je vous l’ai dit aussi, je vous le répète, mais la vraie raison, je ne la dis qu’à vous : c’est que vous ne pourriez pas avoir la majorité dans la droite et que vous ne voudriez pas l’avoir dans la gauche. Ainsi, huit jours d’un triste ministère anéantiraient des espérances éloignées, il est vrai, mais que je conserverai toujours. »

Quelques jours plus tard, le roi ajoutait :

« Je vous ai déjà répondu sur le désir que témoigne la petite d’accoucher en France. Je vous dirai seulement que si, comme je le crois plus raisonnable, ce désir n’est pas satisfait, je ne vois pas en vérité quelle honte en pourrait rejaillir sur vous. Vous avez des ennemis, mon cher fils ; je ne le sais que trop. Mais, vous avez pis que cela, vous avez des amis imprudens. J’ai vu l’autre jour le marquis d’Arragon dont, certes, vous ne soupçonnerez ni l’amitié, ni la bonne tête. Il craint plus pour vous les seconds que les premiers. »

Après avoir lu ces remontrances suggérées au roi par les influences nouvelles qu’il commençait à subir, celle de son frère surtout, et, plus encore, par la crainte de voir ses ministres prendre ombrage du retour de Decazes et se retirer, on s’expliquera pourquoi, au reçu des plaintes proférées par son ambassadeur contre Pasquier, qui lui arrivèrent le 30 décembre, il crut qu’il n’y avait en tout cela qu’un prétexte pour forcer sa volonté. Sans hésiter, peut-être aussi sans assez réfléchir, ainsi qu’incite à le croire la facilité avec laquelle il céda bientôt après aux prières de « la petite, » il répliqua sur un ton de gronderie, gonflant la