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passionnée ni voluptueuse, mais rudimentaire, agreste, imprégnée d’un naturalisme ingénu, susceptible de contenter les guerriers de l’ancien temps, des laboureurs et des amoureux en goguette. J’y soupçonnais bien, sous la naïveté du culte extérieur, quelques secrets ésotériques ; tant y a que ces bâtons ornés de bandelettes et ce miroir ne piquaient pas plus ma curiosité que des attributs de somnambule.

La foule se répandait autour du temple et y trouvait ses divertissemens coutumiers. Des saltimbanques tambourinaient devant une baraque faite de piquets fichés en terre, de serpillière et de paillassons. Les boutiques de gâteaux et de sucreries et les petits bazars « à prix fixe » étourdissaient les chalands d’un bruit de sonnailles et de cliquettes ; et les inventions modernes, la Science même, y recrutaient des cercles de badauds gravement ébahis. J’en vis qui collaient à leurs oreilles des cornets de phonographe, mais leur visage restait aussi imperturbable et leurs yeux aussi mornes que s’ils n’y eussent rien entendu. Un charlatan avait exhibé sur sa table une tête de mort, deux squelettes, des poupées anatomiques, dont les intestins nous découvraient des tumeurs peintes en vert, trois bocaux où s’enroulaient des ténias, et, au milieu de cet horrifique étalage, une liasse de brochures et une pyramide de petites boîtes à pilules. Il parlait avec une volubilité vertigineuse, et tour à tour, de sa baguette, frappait un bocal ou une poupée et désignait la poitrine d’un de ses nombreux auditeurs. Et, malgré mon ignorance de sa langue, je comprenais fort bien son langage. Il disait : « Vous, monsieur, je lis sur votre figure que vous nourrissez un reptile dans vos honorées entrailles ; et vous, madame, croyez-moi, il n’est que temps d’agir, si vous voulez éviter pour votre noble sein une affection comparable à celle dont vous pouvez constater ici toute la gravité. » Les bonnes gens hochaient la tête, mais il me parut qu’ils étaient plus touchés de la faconde du drogueur que convaincus des avantages de la drogue. A quelques pas de là, des bateleurs, robes et manches retroussées, jonglaient avec des sabres, les beaux sabres qui furent l’honneur et la précieuse férocité du Japon, et que ces marauds avaient apprivoisés au point d’interrompre leurs jongleries pour les avaler le plus proprement du monde.

Et je me disais : « Est-ce donc là ce pays excentrique qui a tant réjoui les amateurs d’étrangeté, et dont la porcelaine nous a conté