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enfans habillés d’étoffes à ramages, je les connaissais pour les avoir marchandés aux rayons de nos bazars, et j’avais dès longtemps admiré leurs tonsures et leur crâne chauve, au sommet duquel une houppe de cheveux produit l’effet d’un peu de mousse marine sur un gros galet rond. Mais je ne me doutais pas que, dans un pays si propre, ils fussent si morveux, et les croûtes de leurs visages me gâtèrent cette gentille mi-carême de bébés. Tous, hommes et femmes, saisis par la fraîcheur de la matinée, remontaient leurs épaules et recoquillaient leurs bras dans l’ampleur des larges manches, qui pendaient démesurément à vide. C’était une ville habitée d’un peuple de manchots.

L’après-midi, nos guides nous menèrent voir un temple shintoïste. On y arrive sous des allées de portiques ou de barres fixes, dont la solive transversale se recourbe légèrement comme une quille de navire, et parmi des rangées de lanternes en bois, en pierre ou en bronze, dressées sur de hauts socles. La demeure des dieux japonais, d’une arcadienne simplicité, consiste en deux pavillons presque carrés, élevés l’un derrière l’autre et reliés par une passerelle. Leur toit, fait de lattes minces qui, fortement pressées, imitent le chaume, pèse d’un poids énorme sur leurs colonnes polies. L’autel, sans peinture ni dorure, n’expose aux yeux des fidèles d’autres emblèmes de la divinité qu’un miroir trouble et des fuseaux de bambou d’où retombent symétriquement des zigzags de dentelles en papier. Devant l’autel, une cloche suspendue au rebord du toit et dont la corde flotte, avertit le dieu qu’on le demande sur la terre. Des femmes viennent, sonnent, inclinent la tête, claquent des mains, marmottent une courte prière, et s’en vont. Le grand air et les oiseaux pénètrent de toutes parts sous ces kiosques sacrés, et les jardins d’alentour sont peuplés de lanternes et de grossiers tabernacles. Plusieurs obus posés sur des colonnes de granit et quatre canons, braqués aux quatre coins du premier pavillon, trophées de la dernière guerre, prenaient un aspect de vieilleries inoffensives, dans ce décor rustique. Et, sous un petit auvent de bois, parmi les lanternes, une vache de bronze couchée, la longe pendante, malgré sa parenté avec les divinités égyptiennes, n’avait rien d’imposant ni de hiératique, et ressemblait à une bonne vache paisible qui ne serait point un symbole.

Portiques, lanternes, pavillons, sanctuaires, tout nous présentait l’image d’une religion sans mystères et sans effroi, ni