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assez aux choses du gouvernement. Nous avons bien un parlement comme vous, mais on se plaint que nos hommes politiques aient désappris la moralité. Nos écoles ressemblent aux vôtres ; mais nos professeurs manquent un peu d’instruction. Vous êtes des savans, vous, et les Japonais ont grand besoin de votre indulgence. Nous nous occupons aussi de réformer notre bouddhisme, dont les prêtres trop souvent grossiers ou licencieux n’ont point de « respectabilité. » Et pour nos marchands, défiez-vous d’eux ; ils ne font pas encore usage de la probité commerciale.

— Heureusement, lui dis-je, il vous reste votre Empereur, dont l’inaltérable sainteté remonte à l’origine de l’univers.

— Il est vrai, fit-il, mais nous sommes tout de même inférieurs aux Européens.

— Eh ! pourquoi vous embarrasser de cette question d’infériorité ou de supériorité ? Vous êtes autres que nous. Vous occupez les plus belles îles du monde ; vous bâtissez des villes qui étonnent le voyageur, et vos usages l’émerveillent. Les Chinois ont éprouvé l’excellence de vos nouveaux armemens. Que vous êtes difficiles à satisfaire !

Il inscrivit soigneusement cette pensée.

— Surtout, lui dis-je, ne me prêtez pas votre sentiment sur vos politiciens, vos professeurs, vos commerçans et vos bonzes.

— N’ayez crainte : j’attendrai quelques mois.

— Etes-vous donc su r que je me montrerai aussi sévère que vous ?

— Je n’ose espérer que votre extrême bienveillance ne le sera pas encore davantage.

— J’ai reçu, disais-je le soir même à mon vieux résident, la visite d’un reporter japonais qui me paraît juger ses compatriotes avec une impartialité presque indiscrète.

Et je lui contai notre entretien.

— Pure bienséance ! s’écria-t-il. Ignorez-vous comment se font les présentations au Japon ? On y présente sa femme comme « son imbécile de femme » et son fils comme « son porc de fils. » Votre gazetier vous a simplement présenté son pays. Pour une fois, cette politesse jaune peut s’appeler une honnêteté.

Les interviews ont parfois du bon ; et je tâchai de me préciser à moi-même ce que j’aurais répondu à mon journaliste japonais, s’il n’eût été ni Japonais, ni journaliste.